Crépuscule de l’Empire français ou début de libération des peuples africains? Libre à chacun d’interpréter la situation géopolitique actuelle comme bon lui semble. Néanmoins, s’il y a une seule certitude, c’est que dans ce Nouvel Ordre Mondial qui s’annonce, la France risque d’en être l’une des plus grandes perdantes.
En effet, la France est dans une impasse en Afrique. Et ce serait insensé d’attribuer à Emmanuel Macron la responsabilité du malaise actuel qui anime les ex colonies de l’Hexagone. Cependant, son rejet quasi-général par une large partie de la population française a largement participé à l’effondrement de son image en Afrique.
Dans cette analyse, il ne s’agit en aucun cas de revenir sur toutes les étapes qui ont marqué ce divorce entre Paris et ses ex colonies qui, depuis l’accession de Macron au pouvoir, ont le sentiment que ce dernier a une réelle volonté de perpétuer la FrançAfrique sous d’autres formes, en désignant du doigt des présidents préfets pour veiller aux intérêts de la France dans cette partie du monde et en sabotant toute tentative de coopération entre ses ex colonies et d’autres puissances telles que la Russie ou la Chine.
Il convient de souligner que peu avant l’arrivée du Covid-19, les relations entre Paris et ses anciennes colonies avaient déjà connu un coup de froid avec le projet ECO qui devait remplacer le Franc CFA (monnaie coloniale toujours utilisée par 14 pays majoritairement colonisés par la France) que beaucoup d’économistes perçoivent comme un racket organisé par l’ancienne colonie pour s’enrichir sur le dos de ses sujets.
ECO fut un projet très ambitieux qui avait fait naître un immense espoir chez une grande partie de la population africaine, notamment les jeunes qui ont le sentiment que sans cette nouvelle monnaie, tout rêve de devenir un Etat souverain et prospère ne sera qu’une chimère.
Les partisans de l’ECO étaient euphoriques pensant avoir finalement arraché des mains de la France la clef de la souveraineté monétaire de leurs Etats surtout quand ils ont appris que le Nigeria et le Ghana (deux géants économiques du continent) y étaient favorables. Mais, ils ont reçu une douche froide lorsqu’Accra et Abuja se sont retirés du projet suite à l’implication de la France qui a signé en 2019 à Abidjan des accords avec Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire.
Depuis, les peuples africains francophones ont une dent contre Paris et nourrit le sentiment que la France a saboté un projet phare du continent afin de maintenir son hégémonie dans une partie du monde où son empire a brillé durant au moins un siècle et demi. Pour la jeunesse africaine, ivre de changement, Paris a franchi une ligne rouge et doit être punie.
Mais, au-delà de la question monétaire, il y a la question sécuritaire qui a exacerbé les tensions entre l’Hexagone et ses ex colonies. En effet, en Afrique, deux pays (le Mali et la Centrafrique) qui traversent une crise sécuritaire sans précédent sont devenus aujourd’hui un casse-tête pour la France qui y préservent des intérêts hautement stratégiques.
Bangui est dans une situation de guerre civile depuis bientôt 7 ans (depuis la chute de François Bozizé) et Bamako, devenu le royaume des putschistes, vit une crise sécuritaire sans précédent dans sa partie nord aujourd’hui partiellement conquise par les islamistes radicaux.
Dans ces deux pays, des soldats français y sont déployés dans le cadre de deux opérations (Sangaris en Centrafrique et Barkhane au Mali). Pourtant, dans ces deux pays, aucune stabilité n’est encore notée sur le terrain. Pis, la situation politico-sociale s’est dégradée ces dernières années.
En Centrafrique, une guerre civile oppose, depuis plusieurs années, balaka et anti-balaka et au Mali, des salafistes radicaux qui ont obtenu des armes sophistiquées en profitant du chaos libyen font la loi dans la partie nord du pays que l’Etat central malien ne contrôle d’ailleurs plus.
Face à une telle situation, beaucoup d’experts locaux pointent du doigt la responsabilité de la puissance coloniale, l’accusant (peut-être à tort) de diviser pour mieux régner. Paris nie catégoriquement et jure de toute sa force qu’elle est uniquement présente sur ces sols pour y faire régner l’ordre.
Mais, dans un contexte géopolitique très particulier, marqué par l’influence grandissante de la Russie et de la Chine, ses ex colonies voient sa présence sur le sol africain d’un très mauvais œil et estiment qu’il est désormais temps de changer de partenaire, à leurs risques et périls.
Ainsi, depuis un certain temps, la donne a complètement changé. Si la Chine évite de s’immiscer dans la vie politique des Etats africains avec lesquels elle noue des liens économiques très forts, ce n’est pas le cas de la Russie qui, elle, leur fournit des armes en leur promettant une souveraineté totale à court terme.
La superpuissance de la France est désormais menacée et son empire qui a rayonné dans cette partie du monde est en train de vivre ses dernières heures. Je vous le dis ici : ce serait un miracle qu’il puisse encore tenir plus de 20 ans sans s’effondrer pour deux raisons : 1) la pandémie à Coronavirus a mis à genoux la deuxième puissance économique d’Europe (la France) qui croupit sous une dette estimée à plus de 2 600 milliards d’euros et 2) la Russie et la Chine, ses deux concurrents, sont clairement sorties gagnantes de cette crise sanitaire et déploient en Afrique une diplomatie vaccinale spectaculaire.
Au Mali, l’élément de la France, Ibrahim Boubakar Keïta dit « IBK », a été évincé du pouvoir par un coup d’Etat militaire perpétré le 18 août 2020. Le coup a été très dur pour Paris qui a tout de même réussi à placer ses pions au cœur de l’appareil politique malien afin de continuer à avoir la mainmise sur la situation politico-économique du pays.
Mais, ses efforts ont été anéantis car ce 24 mai, Bah Ndao, président de la Transition et Moctar Ouane, son premier ministre, ont été démis de leur fonction par la junte militaire dirigée par le tout-puissant Assimi Goïta qui s’est d’ailleurs auto-proclamé président du pays. Les raisons de ce coup d’Etat restent encore un mystère. Cependant, de source proche, Bah Ndao aurait violé le secret défense en transmettant des documents confidentiels à la France sur l’achat d’armement militaire à la Russie.
Justement, en parlant des relations entre la Russie et le Mali, on peut déduire sans risque de nous tromper que Poutine est en train clairement de damer le pion à Macron. En effet, peu après le coup d’Etat de ce mai 2021, plusieurs manifestants ont affiché leur sympathie envers Moscou en brandissant fièrement le drapeau russe dans la capitale malienne.
Sur le plan militaire, la Russie et le Mali sont liés, depuis 2019, par des accords militaires et les relations diplomatiques entre les deux pays sont tellement chaleureuses que de nombreux experts estiment que Moscou a déjà conquis Bamako au grand dam de la France dont l’image est de plus en plus ternie en Afrique.
En Centrafrique, le même scénario se dessine. La Russie a presque totalement chassé la France de son précarré en tissant des relations diplomatiques et militaires très fortes avec le nouveau président, Faustin Archange Touadéra. Moscou a récemment fourni des armes à Bangui et promet d’investir 11 milliards de dollars dans ce pays. Et là, tout est dit.
Et j’ajoute que l’animosité des dirigeants maliens et centrafricains envers l’ex puissance coloniale n’est pas que palpable dans ces deux pays. Elle est aussi notée dans d’autres ex colonies de la France où Paris, depuis quelques années, est perçue comme un danger et un frein au développement et à la prospérité du continent.
L’effondrement de l’Empire français en Afrique est donc en cours et le processus pourrait s’accélérer si jamais la Russie et la Chine qui ont pris le dessus sur la France décidaient de porter à Paris le dernier coup de poignard. Les chances que Paris réagisse sont extrêmement faibles car la France est économiquement à terre et politiquement déchirée en mille morceaux.
Tout comme l’Espagne et le Portugal qui, au 19ème siècle, ont perdu toutes leurs colonies (et les avantages financiers qui allaient avec) avant de redevenir des Etats européens normaux sans aucune influence internationale, la France est sans aucun doute en train de connaître le même sort.
Le grand danger pour la France est qu’en perdant l’Afrique, elle continuera certes d’exister en tant que nation. Mais, son hégémonie sur le plus international risque d’en prendre un sacré coup.