Le Tchad, l’un des pays les plus stratégiques du continent africain (en raison de sa position géographique mais aussi de ses ressources naturelles dont le pétrole) est en train de basculer dans le chaos total une semaine seulement après la mort de l’ex président Idriss Déby dans des circonstances qui restent encore très obscures.
En effet, le 19 avril dernier, contre toute attente, le décès d’Idriss Déby a été annoncé par l’armée tchadienne. La seule information qui a été mise à la disposition du public est que le maréchal a été tué au front alors qu’il combattait les rebelles du mouvement FACT (Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad). L’argument brandi par l’armée est loin de convaincre l’opinion publique nationale et internationale et plusieurs sources évoquent un assassinat de l’ex homme fort de N’Djamena.
Idriss Déby est donc mort et enterré. Son ombre, pendant des années, continuera de planer sur le Tchad qu’il a dirigé en mains de fer durant 30 ans. D’ailleurs, il n’a échappé à personne que le jour de sa mort, il venait juste d’être réélu à la tête de ce pays pour un 6ème mandat consécutif.
Peu après sa mort, le peuple tchadien a eu droit à une véritable mise en scène. L’armée annonce la mort du maréchal, se précipite à nommer Mahamat Déby (fils de Déby) pour diriger le pays et bafoue ouvertement la Constitution qui prévoyait pourtant que le président de l’Assemblée nationale soit élu président par intérim le temps que des élections soient organisées.
Donc, en un laps de temps très court, on a assisté à un coup d’Etat militaire qui ne dit pas son nom. Un constat d’autant plus triste et malheureux qu’en Occident, très peu, voire aucun pays, n’a dénoncé cette forfaiture. Pire, en France, puissance coloniale, on semble se délecter de la situation actuelle, justifiant la nomination de Mahamat Déby par le caractère exceptionnel des circonstances. En gros, Paris adoube un président arbitrairement désigné par une junte militaire qui n’est là que pour perpétuer l’emprise sur le pouvoir d’une dynastie et cela ne pose aucun problème.
Mais, là n’est pas la question. La vraie question est : quelle (s) conséquence (s) pourrait avoir la déstabilisation du Tchad? Le terme « déstabilisation » n’est pas de trop. Car, le pays a déjà vu naître en son sein une rébellion lourdement armée et très bien entraînée qui a déjà combattu en Libye, pays détruit par plus de 8 années de guerre civile et où les puissances occidentales se livrent à une véritable foire d’empoigne pour contrôler les richissimes mannes pétrolières laissées par Kadhafi. A l’intérieur du Tchad, la désignation du Déby fils ne plaît guère et de violentes manifestations secouent le pays depuis quelques heures.
Il faut dire qu’à l’heure actuelle, il serait extrêmement difficile, voire hasardeux de prédire l’avenir du Tchad. Tout ce que l’on sait est que sa déstabilisation est une très mauvaise nouvelle pour l’Afrique et une aubaine pour les puissances impérialistes occidentales qui se livrent à une guerre sans merci pour le contrôle de zones stratégiques dans le monde en vue d’asseoir leur hégémonie.
La déstabilisation du Tchad est extrêmement bénéfique pour ces puissances pour les raisons suivantes :
—Les ressources naturelles du pays : en 2016, le Tchad disposait de 1 500 000 barils de pétrole, le plaçant à la 37ème place au niveau mondial. Avec plus de 100 000 barils/jour, le pays est le 46ème au monde, de quoi attirer les multinationales occidentales qui, ces dernières années, ont été nombreuses à signer des contrats d’exploitation avec N’Djamena. Parmi elles, figurent : Total, Glencore, HBP, ERHC…. Avec la crise économique mondiale qui frappe de plein fouet l’Occident, mettre la main sur cette gigantesque manne pétrolière est primordiale pour les impérialistes.
—La position géographique du Tchad : l’autre détail qui explique l’intérêt tout particulier d’une déstabilisation du Tchad réside dans sa position. En effet, les puissances occidentales, dans leur guerre sans merci pour le contrôle des ressources naturelles africaines, ont besoin d’instaurer le chaos généralisé. Cette stratégie leur permet à la fois de faire semblant de lutter contre une menace imaginaire mais surtout de militariser toute une région afin de mieux exploiter ses richesses. En Libye et en Irak, c’est exactement la stratégie mise en place depuis bientôt 10 ans et pourtant, l’insécurité dans ces régions n’a jamais été aussi palpable.
Dans le cas du Tchad, nous assistons au même scénario. Les forces impérialistes qui arriveront à semer le chaos dans ce pays sont certains de pouvoir trainer toute l’Afrique centrale dans une instabilité politique pire que celle connue au Sahel depuis dix ans. Ainsi, en faisant tomber le Tchad, l’impérialisme tient la situation sous contrôle car il est persuadé que le Cameroun et le Niger ne résisteront pas longtemps avant de s’effondrer à leur tour.
Ce constat est d’autant plus triste que l’Afrique Centrale était jusqu’ici la seule partie de l’Afrique où régnait une certaine tranquillité (en dépit de la situation assez chaotique notée en Centrafrique). Le Nord de l’Afrique est miné par le terrorisme qui sévit en Tunisie et en Libye, le Sahel est plongé dans un chaos dont il ne sortira probablement jamais, la Corne de l’Afrique est en proie à des attaques terroristes perpétrées par les Shebabs et la partie sud du continent risque de ne pas tenir longtemps après l’irruption brusque et brutale du groupe terroriste Etat Islamique qui a visé le Mozambique fin mars dernier.
L’Occident, la Chine, la Russie et même la Turquie n’ont absolument rien à perdre dans cette guerre géopolitique mondiale qu’ils veulent remporter à tout prix. Et s’il y a un point commun qui lie ces puissances, c’est qu’elles sont toutes conscientes que le contrôle des ressources naturelles des Etats africains est obligatoire pour maintenir leur place de puissances. Car, d’ici deux décennies, l’ordre mondial risque de basculer et il y a fort à parier que des pays, jusqu’ici considérés comme de grandes puissances, perdent une grande partie de leur influence pour redevenir de simples Etats comme le sont aujourd’hui le Portugal et l’Espagne, jadis deux grandes puissances coloniales européennes.
Les événements actuels semblent confirmer que nous assistons à la Conférence de Berlin de 1884-1885. La grande différence est qu’à la fin du 19ème siècle, les futures puissances du monde se sont partagé le gâteau (l’Afrique) dans la plus grande discrétion mais surtout dans la plus grande diplomatie. Mais, Cette fois-ci, le contexte est tout autre..
En effet, nous sommes dans une guerre mondiale provoquée par l’apparition d’un virus qui a plongé le monde dans une crise économique sans précédent. Les économies occidentales sont à genoux, les pertes humaines se chiffrent à des millions, les intérêts géopolitiques des puissances sont en danger et pire, la Chine (allié de la Russie) qui est sortie gagnante de cette crise pourrait, dans un futur proche, détrôner les Etats-Unis pour devenir la future puissance économique du monde.
Cela fait plus de deux décennies que les plus grands géostratèges occidentaux nous disent que l’Afrique est le continent de l’avenir. Effectivement, ils n’ont pas tort. Mais, le continent de l’avenir pour qui? Pour les Africains? Ou pour eux? En raison de la situation actuelle, tout laisse à croire que seuls leurs intérêts comptent. Les Africains et leurs problèmes, ils n’en ont rien à foutre.