Quand Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, il avait très vite incarné la renaissance de l’Europe, une Europe profondément divisée où les populistes de tout bord menacent de mettre fin à une union de plusieurs décennies. Son âge jeune, son intelligence, sa profonde connaissance du monde des affaires, son ouverture au libéralisme et sa défense du projet européen avaient fait de lui le dernier espoir d’un Europe qui s’effondre.
Macron avait immédiatement tissé des liens avec des partis partageant avec En Marche ! la même idéologie et le même projet sur l’Europe, en Allemagne, en Grande-Bretagne mais aussi en Espagne. L’Allemagne parce que c’est la première puissance économique européenne, la Grande-Bretagne pour empêcher à tout prix que le Brexit ait lieu et l’Espagne pour barrer la route aux nationalistes catalans qui, en 2017, avaient proclamé de manière unilatérale l’indépendance de la Catalogne.
Deux ans après son arrivée au pouvoir, le projet de Macron est sérieusement en danger. Et cette fois-ci, ce ne sont pas les populistes qui en sont responsables, mais bien ses partenaires. En tout cas, en Espagne, le parti Ciudadanos, parti libéral avec lequel Macron tisse des liens très étroits, n’a semble-t-il plus l’idéologie centriste. Son virage très à droite devient de plus en plus inquiétant.
En effet, dans le projet de Macron pour une Europe forte, il n’y a aucune place pour les populistes, notamment l’extrême-droite. Macron est l’ennemi juré de tous ceux qui veulent mettre l’Europe à genoux et la position du plus jeune président de la Vème République, sur ce sujet, a toujours été très cohérente.
En Espagne, l’attitude de Ciudadanos est troublante. En effet, ce parti espagnol qui avait accueilli Manuel Valls dès son retour en Espagne se vantait d’être un parti centriste, proche de Macron et ouvertement anti-populiste. Une attitude qui avait beaucoup plu à l’ex premier ministre français qui n’avait hésité à chercher une alliance avec Albert Ribera, chef de file de la formation Ciudadanos.
Il n’a fallu que quelques mois pour que Valls se rende compte qu’il s’était trompé d’alliés. Le parti Ciudadanos n’a rien d’un parti centriste. Les gens qui le connaissent disent d’ailleurs que c’est une pure fabrication de la droite espagnole pour remplacer le PP (Parti Populaire) très affaibli par les scandales de corruption qui lui ont fait perdre le pouvoir en 2018 suite à une motion de censure.
Aujourd’hui, dans son obsession à arriver au pouvoir, Albert Rivera, appelé le « Macron espagnol », n’écarte aucune alliance, ni même avec Vox, le parti d’extrême-droite espagnole. Pour comprendre ce qui se joue en Espagne et le danger que cela représente pour le projet de Macron, ces événements qui se sont produits au courant entre fin 2018 et juillet 2019 nous seront très utiles.
En effet, le 2 décembre 2018, lorsque Vox a fait un résultat historique en gagnant les élections en Andalousie où il venait de remporter 12 sièges pour la première fois depuis la mort de Franco en 1975, Ciudadanos commence à montrer son vrai visage et déçoit une bonne partie de ses électeurs.
Contre toute attente, l’allié de Macron, qui se définit comme anti-populiste, tend la main à l’extrême-droite pour former un gouvernement de droite (Vox, Ciudadanos et le PP) et ainsi barrer la route à la gauche. A partir de là, les liens entre Ciudadanos et Valls commencent à se briser. Gêné et préoccupé, Valls dénonce, à tue tête, l’alliance de son parti avec l’extrême-droite. Mais en vain.
A Paris, Macron était déjà informé de la situation et En Marche !, allié de Ciudadanos, venait d’apprendre à sa grande surprise que son allié espagnol était prêt à nouer une alliance avec l’extrême-droite franquiste pour prendre le contrôle du parlement andalous. A Paris, la nouvelle ne passe pas et l’Elysée réagit : « il ne peut y avoir d’alliance avec l’extrême-droite en Espagne », prévient le Quai d’Orsay dans un communiqué.
Ciudadanos feint de n’avoir pas entendu le message et met Valls dans l’embarras. Les liens entre Valls et Ciudadanos se sont particulièrement détériorées le 10 février 2019 lorsque les trois partis de droite (Ciudadanos, Vox et PP) ont organisé une manifestation à la Plaza Colon de Madrid contre le séparatisme catalan et contre le gouvernement de gauche dirigé par Pedro Sanchez jugé trop complaisant envers les leaders séparatistes catalans.
Pour l’ex premier ministre de gauche, c’est la provocation de trop. Le 17 juin, Valls, qui n’a cessé de dénoncer la politique de Ciudadanos, notamment ses liens avec Vox, est exclu du parti. Pendant ce temps, Ciudadanos continue son faux jeu en soulignant qu’il n’y a aucun compromis entre son parti et l’extrême-droite espagnole.
Mais, il n’a fallu que quelques mois pour que les mensonges d’Albert Rivera (chef de file de Ciudadanos) apparaissent au grand jour. En effet, le 26 mai, lors les élections municipales, Ciudadanos n’hésite pas à nouveau à s’allier avec l’extrême-droite pour déloger Manuela Carmena de la mairie de Madrid.
Informé de cette alliance, l’Elysée réagit une nouvelle fois. « Nous ne pouvons pas ignorer ce que se passe au niveau national et local parce que cela n’est pas anecdotique. Une plateforme commune entre Ciudadanos et l’extrême-droite remettrait en cause la coopération politique pour reconstruire un groupe centriste rénové au sein de l’Union Européenne. Il faut une cohérence idéologique. Un groupe progressiste et libéral ne peut pas se permettre d’être accusé de faiblesse ou d’ambigüités », avait indiqué l’Elysée.
Ciudadanos n’a jamais pris au sérieux ces avertissements et continue à nouer tranquillement ses alliances avec l’extrême-droite dans toutes les villes espagnoles. Cette situation commence à sonner le glas du parti qui, ces derniers jours, a subi une vague de démissions de personnalités politiques de premier plan qui ne se reconnaissent plus dans la ligne du parti.
En effet, le 24 juin, Toni Roldan, porte-parole économique du parti, a annoncé sa démission. « Je ne m’en vais pas parce que j’ai changé, mais parce que Ciudadanos a changé. Ceci n’est pas le contrat que j’ai signé », déclarait-il. Quelques jours plus tard, Javier Nart, eurodéputé de Ciudadanos qui dit ne pas comprendre que Ciudadanos bloque la voie à une investiture de Pedro Sanchez au poste de président du gouvernement espagnol, démissionne à son tour.
Le 6 juin, Xavier Pericay, membre fondateur du parti, rend le tablier et ce 25 juillet, c’est au tour de Francisco De la Torre, chargé des questions fiscales, d’annoncer sa démission de Ciudadanos. Dans une lettre adressée à Albert Ribera, on peut lire : « vous avez décidé de rester dans l’un des extrêmes, ce qui, à mon avis, n’est pas faire de la politique, et bien sûr, ce n’est pas une attitude digne d’un parti centriste ».
Aujourd’hui, il n’y a aucun doute que le parti allié d’En Marche ! n’a rien d’un parti centriste. C’est un parti de droite dont le but consiste à tuer le PP (dont les dirigeants sont impliqués dans de graves scandales de corruption). Et pour arriver au pouvoir, tout est bon, quitte à nouer des alliances avec une extrême-droite que Macron combat fermement.
Ce qui est étrange est que ce parti Ciudadanos noue des alliances sans aucun problème avec l’extrême-droite mais refuse catégoriquement de faciliter l’investiture de Pedro Sanchez, actuel premier de gauche espagnol qui a remporté les élections générales de ce 28 avril de manière totalement démocratique. Est-ce logique qu’un parti centriste collabore avec l’extrême-droite mais refuse de le faire avec un parti de gauche modéré ?
Dans la tête d’Albert Ribera, l’idéologie politique n’a aucune importance. La seule chose qui importe est d’arriver au pouvoir par tous les moyens. Agissant de la sorte, il est devenu un sérieux problème en Espagne car ayant largement participé à radicaliser la droite en raison de ses positions extrêmement violentes sur le séparatisme catalan, allant jusqu’à exiger que les leaders indépendantistes soient condamnés à plusieurs années de prison et que l’article 155 (utilisé exceptionnellement en 2017) soit appliqué en Catalogne indéfiniment.
Si Macron veut sauver l’Europe, ce ne sera pas avec ce parti. Ciudadanos n’a pas l’ADN centriste, mais plutôt d’une droite réactionnaire. Et Emmanuel Macron doit s’en débarrasser très vite car il y va de sa survie politique.