(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
« Je veux être le prochain maire de Barcelone ». C’est ainsi que Manuel Valls, ex premier ministre français, a annoncé ce mardi 25 septembre sa candidature à la mairie de Barcelone. Aussitôt annoncée, la nouvelle a fait la une des médias en France et a enflammé les réseaux sociaux.
Si certains saluent le courage de Valls, d’autres lui reprochent son manque de loyauté envers la France qui lui a octroyé la nationalité en 1982 et qui a fait de lui l’un des hommes politiques les plus importants de la Vème République. Une chose est sûre : Valls a du pain sur la planche et devra être plus que combattif pour arracher la mairie de Barcelone à Ada Colau.
Il faut surtout souligner que Manuel Valls est arrivé en Catalogne dans un contexte politique très particulier. Il y a moins d’une année, la Catalogne était au bord de l’effondrement. Barcelone a été le théâtre de violentes confrontations verbales voire physiques entre constitutionnalistes (ceux et celles qui prônent l’unité de l’Espagne) et indépendantistes catalans qui rêvent d’une République.
Cette période difficile vécue par les espagnols coïncidait avec l’arrivée de Macron à la tête de la France. Le PS, ancien parti de Valls, venait de subir une défaite cuisante à la présidentielle. Les ténors du parti ne croyaient plus à la survie du Parti Socialiste et certains ont commencé à quitter le navire pour rejoindre la majorité présidentielle.
Parmi eux, Manuel Valls qui, d’ailleurs, a été la plus importante personnalité du PS à avoir donné le dernier coup de poignard. « Ce parti socialiste est mort. (…) Je veux la réussite d’Emmanuel Manuel et je serai candidat à la majorité présidentielle et je souhaite m’inscrire dans ce mouvement qui est le sien : la République en Marche », disait-il sur RTL le 9 mai 2017.
Après plusieurs tentatives vaines de rejoindre En Marche, Manuel Valls savait que son avenir politique était presque fini en France. Il ne pouvait plus rejoindre le PS, ni faire un clin d’œil à la droite, ce qui serait perçue comme une haute trahison. La porte (En Marche) lui était presque fermée. Valls comprend très vite qu’il était temps de retourner au bercail.
A son retour en Catalogne, l’homme politique français est reçu comme un roi. En ce moment, l’Espagne est fortement divisée. Et en Catalogne, les constitutionnalistes avaient besoin de remporter la bataille internationale. Pour ce faire, coopter un ex premier ministre français dans leur rang était d’une importance capitale.
A peine arrivé à Barcelone, Valls est accueilli les bras ouverts par Ciudadanos, parti centre-droite dirigé par Albert Rivera et Inés Arrimadas. Deux jeunes politiciens qui venaient de marquer un grand coup en remportant (en termes de voix) les élections autonomes de la Catalogne qui ont eu lieu le 21 décembre 2017.
Au début, Valls s’affichait ouvertement avec les dirigeants de Ciudadanos, lesquels n’ont pas hésité à lui proposer la tête de liste pour les élections municipales de mai 2019. La proposition faisait grincer des dents au sein du parti. Mais, Valls a voulu surtout éviter la précipitation. Il garde le silence absolu et préfère tâter le pouls avant d’apporter sa candidature à tel ou tel autre parti.
Dans sa recherche de partenaires pour se lancer dans la course à la mairie de Barcelone, Valls commettra deux péchés. Je les qualifie de « péché originel » qui risquent de lui coûter très cher. En effet, après s’être réuni avec plusieurs personnalités de la société civile et aussi avec de droite (Parti Populaire), Valls décide finalement de faire cavalier seul. Sans le dire ouvertement, il sacrifie le parti Ciudadanos qui pourtant misait beaucoup sur lui.
Une trahison que Ciudadanos ne lui pardonnera jamais. Je fais remarquer que ce mardi 25 septembre, aucune personnalité de Ciudadanos ne s’est présenté au Centre de la Culture Contemporaine de Barcelone (CCCB) où Valls s’est réuni avec la presse pour annoncer sa candidature. Inés Arrimadas et Albert Rivera l’ont félicité via leur compte twitter.
L’autre péché originel commis par Manuel Valls a été son opposition à l’indépendance de la Catalogne. Rappelons qu’à son arrivée à Barcelone, l’ex premier ministre français n’avait pas hésité à lancer des piques au nationalisme catalan. « Le nationalisme, c’est la guerre », disait Valls en décembre 2017.
Cette phrase a été perçue comme une déclaration de guerre pour bon nombre de catalans. Depuis, Manuel Valls, malgré ses origines catalanes, est devenu la bête à abattre. Et la guerre contre l’ex premier ministre français ne fait que commencer. Au moment où j’écris ces lignes, les indépendantistes se sont mobilisés comme un seul homme pour lui infliger une défaite dont il se souviendra pour le reste de sa vie.
Ce mardi, dans la presse catalane, les attaques contre Valls ont été virulentes. « Valls est un politicien astucieux qui aime jouer au poker et prendre des risques, mais il a très peu d’informations sur la réalité actuelle du pays (Catalogne) et de la ville où il a décidé de faire le saut », écrit Esther Vera, journaliste à Ara.cat, média indépendantiste basé en Catalogne.
Dans une interview accordée au média français L’Indépendant, Artur Mas, ex président du gouvernement catalan, abonde dans le même sens. Parlant de Valls, Mas dira : « j’éprouvais une certaine sympathie pour le natif de Barcelone. Un premier ministre français qui parle catalan, ce n’est pas tous les jours ! Mais, je le voyais déjà très fermé, jacobin et centraliste concernant la Catalogne. Je crois qu’il est impossible d’être maire de Barcelone en ayant une position si centraliste ».
Pour Carles Puigdemont, ex président catalan en exil en Belgique, Valls ne connaît pas Barcelone. « Peut-il être candidat ? Oui, mais c’est un candidat qui ne connaît pas Barcelone, qui n’est pas connu à Barcelone, et qui par contre est connu en France et qui connaît la France », a-t-il déclaré quelques heures avant l’annonce de la candidature de l’ex premier ministre français.
Malgré un discours livré en langue catalane, il est évident que la ligne dure du catalanisme, favorable à l’indépendance de la Catalogne, a déjà tourné le dos à Valls qui devra ainsi compter sur le soutien de Ciudadanos (qui se sent trahi) et du Parti Populaire qui ne représente rien du tout en Catalogne. Ces deux péchés originaux risquent de mettre fin à la carrière politique de Valls qui joue son va-tout en Catalogne.
Edito signé : Cheikh Tidiane DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com basé à Paris
Email : cheikhdieng05@gmail.com