Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire l’interview dans sa version originale
Excellente lecture
« EXCLUSIF. Fonds de solidarité, activité partielle… Les aides aux entreprises mises en place par l’État depuis le début de la crise sanitaire ont attiré de nombreux fraudeurs. Olivier Dussopt, ministre délégué aux Comptes publics, évoque la lutte contre ces indus et les dispositifs de contrôle désormais déployés.
Le versement de dizaines de milliards d’euros d’aides d’urgence aux entreprises a inévitablement créé un effet d’aubaine pour les escrocs. Le ministre en charge du Budget, Olivier Dussopt, fait le point sur les fraudes depuis le début de la crise sanitaire.
Les aides d’urgence versées massivement aux entreprises depuis le début de la crise ont dû susciter la convoitise de nombreux fraudeurs. Qu’en est-il réellement ?
OLIVIER DUSSOPT. Les aides d’urgence versées depuis le début de la crise représentent environ 40 milliards d’euros pour le fonds de solidarité et près de 36 milliards d’euros pour l’activité partielle. Nous sommes donc extrêmement vigilants à éviter les fraudes et nous effectuons des contrôles avant et après le versement. Depuis 2020, pour le fonds de solidarité et les dispositifs analogues, nous avons écarté 2,5 millions de demandes avant le versement. Cela ne veut pas dire que 2,5 millions d’entreprises ont cherché à frauder : certaines sont dues à des erreurs dans les critères d’éligibilité tandis que d’autres sont réellement animées d’une intention de frauder. Quoi qu’il en soit, si nous avions versé ces aides d’urgence sans les contrôler en amont, nous aurions perdu 10 milliards d’euros depuis 2020.
En juin 2021, vous évoquiez déjà 2 millions de demandes infondées pour 7,8 milliards d’euros. Fin 2021, ce montant a donc grimpé à 10 milliards d’euros. Comment expliquer cette progression ?
Elle reste normale dans la mesure où en 2021 certains dispositifs importants ont été mis en place, comme la prise en charge de 20 % du chiffre d’affaires ou des aides pouvant aller jusqu’à 200 000 euros… Les montants individuels d’aide ont été beaucoup plus importants que ce qui a été mis en œuvre en 2020.
Comment procèdent les agents pour réaliser ces contrôles en amont du versement ?
Par des filtres automatiques notamment : nos informaticiens ont travaillé pour créer des filtres qui permettent de faire ressortir les incohérences. Mais il y a aussi du contrôle humain pour certains dossiers qui portent sur des sommes plus importantes. Nous avons eu jusqu’à 300 agents dans une cellule dédiée à ces contrôles en amont du versement.
Et qu’en est-il des fraudes que vous n’avez pas captées avant le versement ?
Elles sont moins nombreuses, heureusement ! Depuis le début du fonds de solidarité, nous avons identifié 74 000 versements qui n’avaient pas lieu d’être, avec ou non une intention de frauder. Parfois, des demandeurs ont rempli des questionnaires de bonne foi, avec des erreurs que nos filtres n’avaient pas repérées : dans ce cas-là, nous proposons des corrections, demandons le remboursement et nous discutons avec les bénéficiaires pour voir comment le paiement peut être étalé si c’est nécessaire. Mais il y a aussi des demandes frauduleuses, faites de manière volontaire et elles font systématiquement l’objet de poursuites ou de redressements.
Combien en identifiez-vous parmi les 74 000 ?
L’opération de contrôle lancée en 2020 nous a conduits à détecter 8000 dossiers qui peuvent être frauduleux à nos yeux. Cela représente 174,2 millions d’euros versés indûment depuis le début de la crise. Ce contrôle a particulièrement ciblé les entreprises ayant perçu des aides pour un montant supérieur au chiffre d’affaires qu’elles avaient déclaré l’année précédente. C’était en effet pour nous un indice pouvant indiquer qu’il y avait eu un indu. Au total, nous avons déjà déposé 2500 plaintes auprès de la justice. Et, pour que cette judiciarisation soit la plus efficace et soutenable possible, nous déposons les plaintes par liasses de manière à laisser à la Justice le temps de les traiter.
En 2021, quel montant fraudé à l’État a été récupéré ?
Quand nous sommes sur des cas de fraude avérée, cela prend évidemment beaucoup plus de temps pour récupérer l’argent. Il faut prendre les données dont nous disposons avec prudence, mais nous estimons avoir recouvré en 2021 plus de 100 millions d’euros d’indus au titre du fonds de solidarité, quelle que soit l’année de réalisation du contrôle.
Quelles sont les stratégies les plus utilisées par les fraudeurs ?
Nous en identifions trois principales. Pour l’essentiel, ces fraudes consistent à déclarer des chiffres d’affaires de référence plus importants que prévu. D’autres consistent en des demandes d’aides effectuées au nom d’entreprises qui n’existent pas, avec des falsifications de documents, voire à multiplier les demandes pour une même entreprise. Enfin, il arrive que certains demandeurs inscrivent leur entreprise comme bénéficiaire au titre d’une catégorie particulièrement accompagnée comme les restaurants, les établissements de montagne ou les discothèques. Selon les secteurs concernés, les modalités de prise en charge et le montant versé peuvent en effet varier très fortement.
Quel est le type d’aide qui, selon les services, a suscité le plus de fraudes depuis le début de la crise ?
Il est difficile de comparer. Le système qui était le plus sensible pour nous, et qui a d’ailleurs été très vite arrêté, a été l’activité partielle telle qu’elle était proposée au début de la crise, en 2020 : pour être très présents auprès des entreprises, nous avions décidé que le délai entre la demande et l’accord ne pouvait excéder soixante-douze heures, ce qui nous empêchait de faire des contrôles renforcés a priori. C’est pour cela qu’en octobre 2020, avec Élisabeth Borne (la ministre du Travail), nous avons fait passer ce délai à quinze jours.
Est-ce toujours un sujet aujourd’hui ?
Plus vraiment, car le dispositif est aujourd’hui très bien encadré et les contrôles a priori permettent d’éviter des fraudes importantes. Par ailleurs, nous avons mobilisé les administrations, mais aussi Tracfin, notre cellule de renseignement financier. Tracfin a permis de judiciariser une centaine de dossiers de fraudes à l’activité partielle. Il s’agit de montants importants qui sont facilement repérables. En 2021, la centaine de dossiers évoqués représente environ 30 millions d’euros.