(Une analyse de Sidy Touré)
Au coeur de Dakar, ville symbolique et symbole de la domination française, trône la majestueuse mosquée Massalikul-Djinan avec ses apparats dorés et ses atours d’une reine au milieu de sa principauté. Cette fois-ci, il serait disproportionné de dire que l’histoire bégaye. Non, elle se répète et s’affirme puisque le triomphe de Bamba après une longue vie marquée par les détentions et l’exil interne comme externe, voilà que désormais l’œuvre des fils et petits-fils de ce dernier change complétement le visage de la capitale. Le quartier de Colobane, avec son historique monument Obélisque, n’est plus le mur de lamentations mais un lieu sacré qui abrite la plus grande mosquée de l’Afrique noire où la quête du savoir, la vivification de la foi, et la prière vont désormais rythmer le quotidien.
Oui c’est énorme comme réalisation, c’est une œuvre colossale d’un coût de 20 milliards, reflet du chef d’œuvre de Khadimou Rassoul, Massalikul-Djinan, éponyme de l’institution. Elle est la marque de fabrique de la communauté Mouride. Rappelons justement qu’elle n’est pas à son premier coup d’essai. Ainsi sont tous des projets autofinancés : le chemin de fer Diourbel-Touba, La Grande Mosquée de la ville sainte, l’Hôpital Mathlabul-Fawzeyni, Khelcom de Sheikh Saliou, les nombreuses instituts Al-Azhar bâties par Serigne Mourtadha partout dans le pays et l’Université Cheikh Ahmadou Bamba, actuellement en construction dans la ville sainte pour un financement de 37 milliards. Sans pour autant oublier de rappeler qu’après Dakar, Touba, anciennement vu comme un conglomérat de villages, est devenu la deuxième ville économique du pays!
La communauté Mouride a posé définitivement ses empreintes dans la capitale et de fort belle manière. La merveilleuse Massalikul-Djinan porte la signature de la jeune et brillante ingénieur Marianne Seck Tall, conductrice des travaux. Le fait de porter une femme à la tête de ce projet phare est un facteur qui mérite d’être souligné d’autant plus que l’Islam est catégorisé comme une religion qui met à l’écart la gente féminine. En misant sur cette femme, la communauté a démontré qu’elle est inclusive et livre une leçon à l’Afrique et au monde entier que le sort de la femme, musulmane surtout, n’est pas cloîtré entre la cuisine et la petite cour. Madame Marianne Seck Tall a brillamment réussi son test et elle mérite les félicitations de nous tous pour avoir porté si haut la confiance placée sur la gente féminine.
L’inauguration de la joyeuse Mosquée a suscité de l’espoir et de l’engouement rarement vus au Sénégal comme elle a fait couler beaucoup d’encre. En témoigne, pendant une semaine, cette masse populaire venue de partout du pays, les débats dans les différents média que compte le Sénégal et les nombreux articles publiés sur le Web. Mais Massalikul-Djinan peut-elle ou vat-telle être le déclic pour notre développement comme le suggère des intellectuels et leaders d’opinion ainsi dans les nombreux articles publiés et dans les média ? Ce qui est sûr c’est que la communauté mouride constitue une force financière et démographique croissante qui a déjà montré ses preuves et que le pays gagnerait beaucoup à copier ce modèle. Le pragmatisme de cette communauté rappelle celui américain dont le socle est «Time is money», celui du Mouridisme est le Ndigueul (Consigne suprême)
Le Mouridisme, fondé par Cheikh Ahmadou Bamba, propose une orientation spirituelle qui vise directement le Salut d’Allah par le biais du Guide. Elle a comme axes fondamentaux ce triptyque :la dévotion, le travail et la solidarité, tous cimentés par une discipline de groupe. La dévotion se fonde sur la science religieuse, et son application, et le Ndigueul soutend le travail rémunérateur et non rémunérateur. Le premier est à titre individuel, il libère financièrement le disciple et le place à un rang social digne et parfois enviable. Il lui permet de participer à l’effort communautaire, à travers le financement de projets d’utilité publique, fierté et force de la communauté. Le travail non rémunérateur est à titre collectif, il est physique et entièrement volontaire comme les déplacements massifs à Khelcom pour labourer les champs de Serigne Saliou, les nettoyages de lieux publics, les repas festifs gratuits lors des grands évènements… Bref, le Mouridisme est une doctrine, ou philosophie à la fois religieuse, économique et culturelle qui comprend des membres solidairement unis autour d’un guide, travailleurs et sans complexe
De l’héritage colonial, nous avons reçu un État laïc, autrement dit un État qui se démarque de l’influence de la religion. Maintenant il ne sera possible de maîtriser la doctrine Mouride sans l’enseigner et l’inculquer aux élèves et étudiants, relèves de demains mais aussi d’assurer que la visibilité de l’histoire de Bamba résonne partout dans le pays. Cela ne veut point dire tenter de faire de tous les Sénégalais des disciples mourides, mais de leur inculquer la substance économique du Mouridisme, de bâtir des citoyens sur le modèle du disciple mouride revêtu de sa fierté d’homme noir, totalement décomplexé, indépendant, brave, et humble quels que soient ses talents et ou connaissances. Pour cela, il urge de replacer Cheikh Ahmadou Bamba et la culture mouride au centre de l’histoire du Sénégal et pour non seulement faire oublier le passé encore douloureux de l’esclavage et de la colonisation mais aussi trouver au citoyen Sénégalais une identité qui lui est propre pour lui rendre sa fierté. C’est cette fierté qui fait la spécificité des grands peuples, les rendant assez fort devant n’importe quel obstacle.
Massalikul-Djinan ne servira de leçon que si nos dirigeants acceptent une introspection positive et active dont l’objectif est de réorienter définitivement la marche du pays. Après cela, nous pourrons, en tant que peuple, penser et agir par nous-mêmes et pour nous-mêmes afin de prendre en charge nos propres préoccupations.
Sidy Moukhtar Touré.
Diplômé de LEA/UGB et de l’Université Laval du Québec.