(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
La France restituera au Bénin 26 œuvres d’art. Cette nouvelle, qui a fait le tour du web ce vendredi, a été largement commentée dans la presse béninoise, mais aussi internationale. Au Bénin où la nouvelle a suscité des réactions mitigées, on explique que ces objets ont été arrachés au royaume d’Abomey lors de la guerre de 1892.
Je n’entrerai pas dans un débat historique. Néanmoins, en tant que fils d’Afrique, je peux me permettre de faire part de mon soulagement à la suite de l’annonce de cette nouvelle. Je note que la restitution de ces œuvres d’art ne changera en rien la vie des Béninois. Loin de là ! Cependant, leur rendre ce qui leur appartient est déjà un grand pas vers la restauration de la justice.
Oui, il faut oser le dire, les relations entre la France et ses ex colonies africaines ont été très injustes. Nul besoin d’approfondir l’analyse pour étayer mon argument sur cette injustice qui n’a que trop durer. Nos ancêtres ont été (presque) forcés à sauver la France lors de la première et seconde guerre mondiale à leurs risques et périls alors que ces deux guerres ne les concernaient pas du tout.
A la fin de ces deux guerres, ils ont certes été remerciés mais leurs droits les plus élémentaires n’ont jamais été respectés. Au moment où j’écris ces lignes, nombreux anciens combattants africains, communément appelés tirailleurs sénégalais, sont humiliés par la France sur le parvis des préfectures française pour des affaires de papiers, d’indemnisation ou autres.
Ceci n’est rien d’autre qu’une injustice qui ne dit pas son nom. Et pis, dans certains récits historiques dressés par des historiens de la République, le rôle essentiel joué par les anciens combattants dans la libération de la France est minimisé. Ce combat pour la reconnaissance des efforts de guerre n’est pas encore gagné. Mais, les fils d’Afrique mèneront ce combat jusqu’au bout.
Pour revenir à mon sujet, je dirai tout simplement que la restitution des objets d’art appartenant au Bénin n’est que le début d’une victoire pour les peuples d’Afrique. Je rappelle que 90% d’objets d’art appartenant à l’Afrique se trouve aujourd’hui en dehors du continent. Cette situation est d’une gravité extrême pour notre civilisation.
Et le malaise face à cette situation touche toutes les anciennes colonies africaines, quelles soient anglophones, francophones ou lusophones. Rien que pour le royaume du Bénin, on parle de quelque 4 000 objets d’art arrachés par le colon britannique vers la fin du 19ème siècle. En Egypte, les autorités n’ont cessé de faire pression sur l’Allemagne pour qu’elle leur restitue un buste de la Reine Néfertiti volé par les Allemands en 1913.
En 2018, l’agence de presse africaine, APA, avait fait état de 5 142 objets d’art appartenant au Sénégal et répertoriés au musée du Quai Branly à Paris. L’agence de presse africaine s’était appuyée sur les témoignages de l’économiste, Felwin Sarr et de l’historienne, Bénédicte Savoy. Selon APA, les deux « sont chargés de piloter le projet de restitution du patrimoine africain exposé dans les musées français ».
Je m’adresse aux dirigeants africains leur disant que restituer totalement à l’Afrique tous les objets d’art africains présents sur le sol occidental est une obligation. On ne négocie avec un continent qui, au nom de la civilisation, nous a imposé ses us et coutumes à notre corps défendant. L’Afrique n’avait rien demandé à personne.
Je souligne que la restitution de ces œuvres d’art africaines est d’autant plus obligatoire qu’en ce moment, le repli sur soi gagne le continent européen. En effet, nombreux sont les occidentaux qui crient haut et fort leur immense colère face à l’immigration de masse qu’ils n’hésitent pas à qualifier d’ « invasion ».
L’Occident ne veut pas des Africains sur son sol, mais refuse catégoriquement de nous laisser gérer nos propres ressources naturelles et notre patrimoine culturel. Je rappelle que ces objets qui sont exposés dans les plus grands musées français, britanniques, allemands, italiens, espagnols ou autres ont été entièrement fabriqués par des Africains alors que le colon nous toujours fait croire que l’Afrique n’avait pas de civilisations.
Il faut bien savoir que ces objets d’art, tant convoités par l’Occident, rapportent des millions d’euros aux Etats occidentaux tous les ans au moment où les Etats africains, qui en sont les propriétaires légitimes, croupissent sous le poids de la dette. Il faut être de très mauvaise foi pour ne pas voir cette injustice.
Je conclue en disant que la décision de la France de restituer 26 objets d’art au Bénin n’est point la fin de notre combat. Nous exigeons, nous peuples d’Afrique, de la France et de toutes les anciens puissances coloniales occidentales qu’elles rendent à l’homme noir ce qui lui appartient.
Ceci n’est point une menace, mais plutôt le début d’une normalisation de nos relations qui doivent désormais s’opérer d’égal à égal.
Edito signé : Cheikh Tidiane DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com, basé à Paris
Email : cheikhdieng05@gmail.com