C’était trop beau pour être vrai. Lorsqu’Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire et Emmanuel Macron, ont annoncé ce 21 décembre la fin du FCA qui sera rebaptisé ECO en 2020, plusieurs chefs d’Etat africains avaient salué une décision historique qui, en réalité, est une réponse apportée aux revendications nourries, ces dernières années, par une jeunesse africaine qui veut à tout prix couper le cordon ombilical de la colonisation.
La décision annoncée par les chefs d’Etats français et ivoirien avait pourtant été saluée par l’ensemble des pays membres de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) qui regroupe 15 pays africains dont 5 anglophones. Et c’est là que ce trouve le problème.
Ce jeudi, on a appris dans la presse une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe. En effet, les ministres des Finances des 5 pays anglophones et la Guinée se sont réunis à Abuja où ils ont rejeté à l’unanimité l’accord signé entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara sur un sujet scabreux.
Pour le moment, le bloc anglophone joue la carte de la diplomatie et ne veut surtout pas attiser des tensions qui risquent d’importuner les dirigeants francophones qui, en annonçant l’adoption de l’ECO, pensent pouvoir calmer un panafricanisme qui n’a cessé de gagner du terrain dans cette partie du continent africain. En effet, les anglophones disent rejeter le nom de cette nouvelle monnaie dont l’adoption devrait entrer en vigueur cette année.
Personnellement, je ne crois pas en cette thèse annoncée dans la presse. En d’autres termes, je ne pense pas que le nom de la nouvelle monnaie soit le motif du rejet de celle-ci par les anglophones. Que la monnaie soit baptisée « ECO » ou « AFRO » ne puisse en aucun cas être un problème. Le problème est ailleurs.
La réaction de Geoffroy Enyeama, ministre des Affaires étrangères du Nigeria, nous permettra de comprendre la décision in extremis prise par 5 pays anglophones plus la Guinée au moment où l’on croyait que le problème était déjà résolu et qu’il ne restait plus qu’à l’adopter.
Au-delà de la question du nom, le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, le pays le plus riche de la CEDEAO, nous donne une idée de ce qui se joue réellement. Geoffroy Enyeama a en effet fait part de sa crainte de voir son pays adopter une devise totalement (ou partiellement) gérée par la France. De surcroît, il a aussi souligné qu’un seul pays de la zone CEDEAO a pu respecter les critères de convergence nécessaires pour l’adoption de l’ECO.
Rappelons que Macron avait fait savoir que la France n’aura plus de représentant dans le Conseil d’Administration de l’ECO et que les pays membres ne seront plus obligés de déposer 50% de leurs réserves au niveau de la Banque de France. Toutefois, ces annonces n’ont pas suffi à convaincre ni la jeunesse africaine, ni les pays anglophones qui, contrairement aux anciennes colonies françaises, disposent de leurs banques centrales, fabriquent leurs propres monnaies chez eux et disposent d’une certaine souveraineté monétaire.
Le message des anglophones va donc au-delà d’une simple affaire de nom. Leur souhait est que l’ECO ne soit plus arrimé à l’euro et que la France n’ait plus son mot à dire. Car sans cela, prétendre une seule minute que la nouvelle monnaie va garantir la prospérité des pays qui l’utilisent et permettra à ces derniers d’être plus compétitifs sur le marché international devient une chimère. En conséquence, les chances que l’ECO soit adoptée en 2020 sont désormais très minimes, après le coup de massue que les anglophones ont assené aux francophones.
Cette débandade ne profite qu’à un seul pays : la France. Et je m’explique. En annonçant la naissance de l’ECO, Macron avait refilé une patate chaude aux pays francophones. Si jamais, l’ECO n’est pas adoptée, la réaction de Paris sera : « nous avons signé l’accord en direct et nous avons mis à la disposition des Africains toutes les conditions pour que cela puisse avoir lieu. Maintenant, si les Africains n’arrivent pas à s’entendre, nous n’y pouvons rien. Qu’ils apprennent à s’entendre d’abord ».
Macron n’a absolument rien à perdre. Car, si l’ECO n’est pas adopté, le statu quo (qui l’arrange parfaitement) ne change pas. La France maintiendra ses représentants au Conseil d’Administration, ses ex colonies continueront à déposer 50% de leurs réserves au niveau de la Banque de France et la France continuera à fabriquer la monnaie et en déterminer les politiques sans que les Etats qui l’utilisent n’aient leur mot à dire.
Les anglophones non plus. En effet, pendant que les négociations sur l’adoption de l’ECO se poursuivent, ils pourront en toute tranquillité continuer à frapper leur monnaie et à mettre en place des politiques économiques sans l’aval de la Grande-Bretagne (pour le Nigeria, le Ghana, le Sierra-Leone et la Gambie) ou des Etats-Unis (pour le cas du Liberia).
Ceux qui doivent trembler sont les francophones qui ont déjà promis à leur peuple que tous les liens avec la France étaient brisés avec l’adoption de l’ECO dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2020. Après la volte-face des anglophones, vont-ils se précipiter pour adopter l’ECO afin de ne pas susciter le courroux des panafricanistes ? Je ne pense pas qu’ils puissent prendre un tel risque.
De toute façon, dans ce conflit qui oppose désormais pays anglophones aux pays francophones de la CEDEAO sur l’adoption de l’ECO, la France reste l’unique vainqueur. En effet, depuis la Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron a réussi à dynamiter une union dont les projets représentent une menace pour les intérêts de l’Hexagone en Afrique. Ceux qui prédisaient la mort du FCFA se sont bien trompés. La monnaie coloniale a encore de beaux jours devant elle et l’ECO, avant même de voir le jour, a déjà du plomb dans l’aile.