(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG, basé en France)
La guerre religieuse entre l’Arabie Saoudite et l’Iran a dépassé les frontières depuis belle lurette. Nous le savons tous. Désormais, elle ne se joue plus au Moyen-Orient, mais plutôt sous d’autres cieux. Et l’un des continents les plus prisés par ces deux puissances régionales qui se livrent une guerre d’influence sans merci est désormais l’Afrique.
En effet, l’Afrique est devenue, ces dernières décennies, le lieu privilégié des idéologues salafistes et chiites qui cherchent à conquérir les cœurs et les esprits. Et ce n’est pas n’importe quelle partie du continent qui les intéresse. Au-delà du Maghreb, ils sont particulièrement attachés à l’Afrique de l’Ouest.
Le choix de cette partie de l’Afrique s’explique par la forte concentration de musulmans, par la pauvreté qui gagne du terrain, mais aussi par des instabilités politiques qui donnent souvent lieu à des soulèvements populaires d’une rare violence. Désormais, l’Iran et l’Arabie Saoudite veulent en faire leur pré carré et sont prêts à tout pour conserver leur hégémonie sur cette partie du monde.
Le pays sur lequel ils ont jeté leur dévolu n’est autre que le Sénégal. Un pays qui compte environ 95% de musulmans et où l’Islam a toujours joué un rôle central dans la cohésion sociale. Conquérir le Sénégal dans cette partie de l’Afrique est d’une importance capitale pour ensuite mettre la main sur des pays voisins, tels que le Mali, la Mauritanie, la Gambie, la Guinée, la Côte d’Ivoire et pourquoi pas la richissime puissance pétrolière : le Nigeria.
La guerre entre ces deux puissances régionales sur le sol africain profitera-t-elle à Afrique ? L’idéologie salafiste et chiite qui a déjà commis des dégâts incommensurables dans une partie du Moyen-Orient ne risque-t-elle pas de détruire l’Afrique de l’Ouest où l’Islam modéré y est pratiqué depuis plusieurs siècles ? Pourquoi justement le choix du Sénégal par l’Iran et l’Arabie Saoudite ?
Chacune de ces questions est d’une importance capitale afin de comprendre ce qui se joue réellement en ce moment. Il faut oser le dire : la confrontation, jusqu’ici idéologique entre Téhéran et Riyad, pourrait bien aboutir à une véritable confrontation militaire qui n’épargnera aucun de leurs satellites. Ni au Liban, ni en Syrie, ni au Yémen, ni en Irak, encore moins en Afrique.
Le but de cet article est double : alerter l’opinion publique africaine sur les dangers qui guettent le continent, mais aussi prévenir tout risque majeur qui serait le fait d’idéologies aussi périlleuses que le salafisme ou le chiisme dans un continent qui fait face à de nombreux défis.
En 2017, l’agence de presse Reuters avait mené un reportage sur ce sujet précis après un voyage effectué au Sénégal. Le titre de l’article était : « In Senegal, Iran and Saudi Arabia vie for religious influence » (Au Sénégal, l’Iran et l’Arabie Saoudite se disputent l’influence religieuse).
Dans ce reportage, les journalistes Tim Cocks et Bozorgmehr Sharafedin s’étaient focalisés sur les activités, on ne peut plus douteuses, de l’université Al-Moustapha, université chiite basée dans la capitale sénégalaise (Dakar). L’université est très étroitement liée à l’Iran et le chiisme y est enseigné.
D’après l’agence Reuters, les matières qui y sont enseignées sont les suivantes : l’histoire et la culture iranienne, la science islamique ainsi que le Perse (langue d’Iran). Pour attirer les fidèles, l’université adopte une stratégie très efficace. En effet, elle offre aux étudiants des bourses d’études et leur assure une alimentation à titre gracieux.
Face à l’idéologie de l’université Al-Moustapah, se dresse une autre (idéologie), celle salafiste incarnée par l’APIJ (Association de Prédication Islamique pour la Jeunesse). Dans cette association, l’Islam qui est y enseigné est celui d’Arabie Saoudite, nous apprend Reuters. Et à l’instar de l’université Al-Moustapha, d’importants moyens financiers sont alloués à l’APIJ en provenance de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de Dubaï et même du Koweït.
« Les bibliothèques de l’APIJ sont remplies de textes d’obédience salafiste rédigé en Arabe, des textes que les Imam utilisent pour prêcher dans 200 mosquées du Sénégal », alerte l’agence de presse. « Les deux institutions mènent un concours d’influence au Sénégal et plus généralement en Afrique », ajoute Reuters.
L’agence Reuters n’a pas hésité à tendre le micro aux protagonistes, c’est-à-dire à ceux qui gèrent ces centres islamiques dont les ressources estimées à des millions de dollar proviennent de pays qui jadis n’entretenaient aucun lien (ni politique, ni économique) avec l’Afrique, si ce n’est l’Islam.
Interrogé sur le danger du salafisme (qui vient d’Arabie Saoudite), Cheikh Abbas Motaghedi, recteur de l’université Al-Moustapha est sans ambages. « Les salafistes sont venus en Afrique pour détruire (…) l’Islam », alerte-t-il. Au sein de l’association APIJ (proche d’Arabie Saoudite), l’influence grandissante du chiisme en Afrique pose problème.
« Nous ne pouvons pas accepter l’influence iranienne au Sénégal et nous ferons tout pour le combattre. Nous avons besoin de montrer au monde que le chiisme est faux », déclare l’Imam Cheikh Ibrahima Niang. Face à ces deux idéologies, certains estiment que seules les confréries religieuses (Mouride, Tijania, Khadria…) peuvent permettre d’enrayer le danger.
C’est du moins l’avis de Bakary Samb, directeur de l’Institut Tombouctou basé à Dakar et coordinateur de l’Observatoire du Radicalisme Religieux et des Conflits en Afrique. « C’est là où les confréries sont faibles, comme c’est le cas en Afrique de l’Est, que la menace de radicalisation reste plus élevée », explique-t-il.
La situation est d’autant plus dangereuse que les deux institutions (université Al-Moustapha et AJIP) sont strictement surveillées par les autorités saoudiennes et iraniennes. Reuters fait remarquer qu’Al-Moustapha, basée dans la ville iranienne de Homs, et qui opère dans 50 pays au monde est sous le contrôle du guide iranien, Ali Khamenei.
L’agence de presse souligne que des milliers d’étudiants africains reçoivent des bourses d’études pour y étudier. Rien qu’à Dakar, ils sont 150 étudiants à s’inscrire à l’université Al-Moustapha qui leur garantit les trois repas quotidiens, une bourse d’étude et une inscription gratuite.
Mais, est-ce vraiment gratuit ? Poser cette question est d’autant plus légitime que d’après l’agence de presse, une fois leurs études finies, les étudiants doivent participer à faire la promotion de l’université (en guise de remerciements pour tout ce qu’elle a fait pour eux) en créant des sites internet dédiés à Al-Moustapha ou en lui consacrant un livre.
Les autorités de l’université Al-Moustapha se défendent de toute accusation d’endoctrinement. « Notre objectif est purement culturel et éducatif. Nous voulons promouvoir une éducation de qualité. L’Arabie Saoudite, le Koweït, la Turquie (…) ont construit des écoles religieuses en Afrique. Aux côtés de ces écoles, il y a les écoles catholiques financées par l’Angleterre ou les Etats-Unis et même des écoles hindoues. Donc, il y a une rivalité en Afrique et si nous n’assurons pas notre présence dans ce continent, nous resterons derrière », se défend une haute autorité basée à Homs.
Pour vous donner une idée de l’importance de cette université pour l’Iran, permettez-moi de vous présenter quelques chiffres. En effet, dans son budget de 2016, l’Iran avait réservé à Al-Moustapha 74 millions de dollars. Mais, Reuters assure que les fonds reçus par l’université en provenance du bureau du Guide Suprême sont plus élevés.
A l’APIJ, on prend, sans gêne, la défense du salafisme. « Le salafisme (…) a un message. Pour être un bon musulman, on doit suivre les pratiques du prophète Mohamed », dit Imam Niang, l’un des fondateurs de l’APIJ qui est rentré d’Arabie Saoudite (où il a fait ses études) en 1989. L’APIJ connaît un succès fulgurant et est bien présente dans plusieurs endroits du pays, notamment en banlieue dakaroise.
Depuis la création du mouvement, on note la rentrée d’au moins 20 millions de dollar injectés dans les fonds de l’APIJ. Mais, d’autres financements sont aussi destinés à l’école Al-Falah créée en 1975 et à un mouvement qui opère en banlieue dakaroise et géré par un certain Ahmed Lô, lequel a passé 17 ans de sa vie en Arabie Saoudite. Ces fonds proviennent en grande partie de richissimes hommes d’affaires du Golfe.
Pour le moment, la guerre d’influence poursuit son petit bonhomme de chemin et il est impossible de déclarer un vainqueur. Le Sénégal, selon Imam Chérif Mballo, secrétaire général du mouvement chiite AhlouBayt, compte entre 30 000 et 50 000 chiites dans un pays qui compte environ 15 millions d’habitants. De l’autre côté, l’on ne dispose d’aucun chiffre sur le nombre de salafistes dans le pays. Toutefois, nul doute qu’ils contrôlent plusieurs mosquées sénégalaises.
Si au Sénégal, l’on n’arrive pas à déterminer le vainqueur de cette guerre. Dans d’autres parties du continent africain, l’Iran est en train (lentement mais sûrement) de prendre une longueur d’avance sur son rival saoudien. En effet, au Nigeria, 20 millions de musulmans du pays seraient chiites.
Le mouvement chiite du Nigeria pose déjà une sérieuse menace au gouvernement central depuis l’arrestation de son leader Ibrahim Zakzaky il y a plus de trois ans. Ils sont accusés de comploter pour tuer des généraux de l’Armée et d’être en possession de dangereuses armes. Des centaines d’entre eux ont déjà été tués dans le nord du pays par l’armée nigériane.
Les autorités sénégalaises devraient prendre cette rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite très au sérieux afin de garantir non seulement la sécurité de la population, mais aussi et surtout celle de la jeunesse, une jeunesse désœuvrée, laissée à elle-même et facilement manipulée par des forces étrangères qui ne veillent qu’à leurs intérêts géopolitiques et géostratégiques.