La justice française oblige les commerçants dont les magasins étaient fermés durant le confinement à payer leurs loyers. Dans un communiqué publié ce 30 juin sur son site officiel et lu par Lecourrier-du-soir.com, la Cour de Cassation est claire et précise : « la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers »
Lecourrier-du-soir.com vous invite à lire le communiqué dans sa version intégrale
Excellente lecture
« Pourvois n° 21-19.889 – n° 21-20.127 – n° 21-20.190
La mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers.
Avertissement : le communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur des arrêts rendus. Il tend à présenter de façon synthétique leurs apports juridiques principaux.
Les faits et la procédure
Lors du premier confinement ordonné afin de limiter la propagation de la Covid-19, les autorités publiques ont interdit l’accueil du public dans les locaux commerciaux considérés comme non-essentiels.
De nombreux commerçants ont décidé de suspendre le paiement de leur loyer.
Leurs bailleurs ont saisi la justice pour obtenir paiement des loyers.
La question posée à la Cour de cassation
Les commerçants, à qui il était interdit d’accueillir du public, étaient-ils en droit de ne pas payer leurs loyers ?
Le contexte des pourvois en cassation
La Cour de cassation a été saisie d’une trentaine de pourvois. La troisième chambre civile a fait le choix d’examiner trois d’entre eux en priorité, car ils lui offraient l’opportunité de répondre à des questions de principe posées par cette situation.
Le parquet général de la Cour de cassation a versé aux débats une note du ministère de l’économie, des finances et de la relance relative à l’impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces.
Il ressort de cette note que :
- jusqu’à 45 % des établissements du commerce de détail ont été fermés durant la crise ;
- le montant total des loyers et charges locatives ainsi immobilisés est estimé à plus de 3 milliards d’euros ;
- ces entreprises ont pu bénéficier de trois dispositifs d’aides successifs (fonds de solidarité, coûts fixes et aide loyers), ainsi que d’autres mesures de soutien.
Les décisions de la Cour de cassation
État d’urgence et droit commun de la relation contractuelle
Repère : l’état d’urgence sanitaire
Loi du 23 mars 2020 : l’état d’urgence sanitaire est déclaré sur l’ensemble du territoire national.
Décrets du 23 mars 2020 et du 14 avril 2020 : il est interdit de quitter son domicile jusqu’au 11 mai 2020, sauf pour effectuer des achats de première nécessité ou de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle.
Décrets précités et arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé : l’interdiction de recevoir du public s’applique aux commerces dont l’activité n’est pas indispensable à la vie de la Nation et dont l’offre de biens ou de services n’est pas de première nécessité.
Les mesures prises par les autorités publiques pour lutter contre la propagation de la Covid-19 n’ont pas écarté l’application du droit commun de la relation contractuelle.
État d’urgence et perte de la chose louée
Repère : la perte de la chose louée
Article 1722 du code civil : Un locataire peut demander la baisse du prix du bail ou sa résiliation s’il a perdu la chose qu’il loue dans des circonstances fortuites.
L’interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire ne pouvait être assimilée à une perte de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil.
En effet, cette interdiction :
- était générale et temporaire ;
- avait pour seul objectif de préserver la santé publique ;
- était sans lien direct avec la destination du local loué telle que prévue par le contrat.
Les commerçants n’étaient donc pas en droit de demander une réduction de leur loyer.
État d’urgence et obligations du bailleur
Repère : les obligations du bailleur
Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée à son locataire et de lui en garantir la jouissance paisible, conformément à sa destination contractuelle.
La mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance.
Dès lors, les commerçants ne pouvaient se prévaloir du mécanisme de l’exception d’inexécution pour suspendre le paiement de leurs loyers.
État d’urgence et force majeure
Repère : force majeure et contrat
Article 1218 du code civil : En matière contractuelle, il y a force majeure lorsqu’un événement échappe au contrôle du débiteur et l’empêche d’exécuter son obligation.
Il s’agit d’un événement :
- qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ;
- dont les effets ne pouvaient être évités par des mesures appropriées.
Il résulte de l’article 1218 du code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.
Dès lors, la cour d’appel a exactement retenu que le locataire, créancier de l’obligation de délivrance de la chose louée, n’était pas fondé à invoquer à son profit la force majeure. »