Scandale sanitaire en France : des scientifiques américains contre-attaquent et défendent Agnès Buzyn

Deux éminents scientifiques américains, Peter Hale, directeur exécutif de la fondation pour la recherche de vaccins, à Washington, et Michael M. Lederman, de l’école de médecine de l’université Case Western Reserve, dans l’Ohio, ont pris la défense d’Agnès Buzyn, ex ministre de la Santé d’Emmanuel Macron

Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire l’intégralité de la note publiée dans le JDD

Excellente lecture 

« L’affaire Buzyn nous montre une fois de plus pourquoi il est toujours bon de tenir la politique à l’écart de la science et de la médecine, et pourquoi, en cas de pandémie , cela est encore plus nécessaire. Vu de l’étranger, et étant donné la réputation d’équité de la France, l’affaire Buzyn suscite beaucoup de perplexité, même pour ceux d’entre nous qui avons vécu et travaillé en France. Dans un commentaire récent publié dans la revue scientifique Pathogens and Immunity *, vingt scientifiques éminents des États-Unis, d’Australie, des Pays-Bas, du Mexique et du Brésil ont exprimé leur consternation face aux accusations énormes et sans précédent – dont la « mise en danger de la vie d’autrui » – portées contre Mme Buzyn par la Cour de justice de la République (CJR) en septembre dernier.

Ces chercheurs ont demandé que son cas soit rapidement jugé. Trois jours après la parution de cet article en ligne, Mme Buzyn s’est vue décernée la Légion d’honneur mais la procédure judiciaire qui la vise devrait s’éterniser pendant de nombreux mois, selon ses avocats. On aurait pu espérer que les juges chargés de l’enquête décident de classer l’affaire, mais cela ne s’est pas passé comme cela.

Il est rare qu’un panel de scientifiques étrangers s’immisce dans les affaires d’un pays, « intervienne » sans y être invité pour donner son avis sur une question juridique sensible. Nous le reconnaissons volontiers mais nous l’assumons totalement, considérant que les circonstances exceptionnelles entourant cette affaire justifient amplement notre expression, ne serait-ce que pour témoigner notre solidarité à Mme Buzyn.

Après avoir passé en revue la chronologie et examiné minutieusement ses actions au cours des six premières semaines de ce qui est devenue la pandémie de Covid, nous estimons que les accusations portées contre elle sont peu convaincantes. De plus, nous considérons que les mesures qu’elle a prises pour gérer la réponse initiale du pays, alors que tant d’inconnues demeuraient sur ce virus et sur sa trajectoire, étaient « exemplaires » par rapport aux actions ou inactions des ministres de la santé d’autres pays européens ou d’outre-mer.

Ce qui distingue le cas de Mme Buzyn, c’est l’ampleur des accusations sévères et déplacées portées contre elle devant un tribunal

En tant que scientifiques indépendants et amis de la France, nous nous sommes sentis obligés d’exprimer notre consternation. Tout bien considéré, nous avons l’impression que les accusations qui ont été portées contre elle étaient motivées par des considérations politiques, à un moment où la frustration grandissait à l’égard de la réponse initiale des responsables face à la pandémie et où il y avait un désir naturel dans la population de trouver un coupable. Nous observons le même phénomène dans d’autres pays. Toutefois, ce qui distingue le cas de Mme Buzyn, c’est l’ampleur des accusations sévères et déplacées portées contre elle devant un tribunal, comme on n’en a jamais vu dans aucun autre pays.

Le niveau d’indignation qui s’est exprimé à son encontre constitue un autre fait marquant de cette affaire. Il est incompréhensible que la commission d’instruction de la CJR n’ait pas pu voir ce qu’il s’était passé et n’ait pas eu le bon sens d’abandonner une telle enquête.

L’affaire Buzyn a divisé l’opinion publique et mis les hommes politiques sous pression. Est-elle le symptôme d’une maladie, le début d’un mouvement plus vaste ou laisse-t-elle augurer de futures inquisitions? Nous devons accepter le fait qu’il est devenu impossible de séparer la politique de la science, de la médecine et de la santé publique durant cette pandémie. Les responsables sanitaires en particulier sont des cibles faciles. Mme Buzyn ne fait pas exception. Elle n’a occupé le poste de ministre de la Santé que pendant les six premières semaines de ce qui est devenu la pandémie de Covid avant de se retirer. Les critiques dont elle a fait l’objet des mois plus tard ignorent ce fait essentiel. Il faut espérer que cette contagion de la méfiance à l’égard de nos experts et de nos institutions sanitaires, que l’on observe également dans d’autres pays, ne se propage pas. Elle touche tous les domaines de la science et de la médecine. La Légion d’honneur a été bien accueillie à l’étranger, applaudie par la communauté des chercheurs.

On peut légitimement se demander s’il est utile de poursuivre cette affaire

« En tant que scientifiques, nous sommes guidés par les preuves et nous pensons que les accusations portées contre Agnès Buzyn sont en totale opposition avec la vérité », a déclaré Paul Volberding, professeur émérite de médecine à l’université de Californie, à San Francisco, et l’un des auteurs du commentaire de Pathogens and Immunity. « Son prix est mérité. Sa mise au pilori ne l’est pas. » Un autre auteur, Jeffrey Flier, ancien doyen de la faculté de médecine de Harvard a déclaré : « La pandémie de Covid met en danger le monde entier. Il est heureux que la France honore un médecin scientifique qui était en première ligne et a servi honorablement son pays. »

Deux scientifiques qui n’ont pas co-signé l’article sont du même avis : « L’élection du Dr Buzyn au rang de chevalier de la Légion d’honneur reconnaît ses nombreuses contributions à la santé publique et témoigne de la haute estime dans laquelle elle est tenue par ses pairs scientifiques », a déclaré Arturo Casadevall, professeur de médecine et de microbiologie moléculaire à l’université Johns Hopkins. Giuseppe Pantaleo, professeur de médecine au CHU de Lausanne, a noté que Mme Buzyn était une ministre de la santé très populaire : « Outre sa réputation internationale de médecin et de scientifique hors pair dans le domaine de l’hémato-oncologie, le professeur Agnès Buzyn, en tant que ministre de la santé, a apporté son leadership et son expertise pour envisager la médecine du futur. Au cours de son mandat, elle a été internationalement reconnue comme la ministre de la santé la plus populaire et la plus innovante de la République française ».

Deux ans après le début de la pandémie, à un moment où le nombre de cas de Covid connaît d’inquiétants record, et compte tenu de l’énormité des défis que continue de poser la gestion de la crise sanitaire, il nous semble que l’on peut légitimement se demander s’il est utile de poursuivre cette affaire. Nous pensons que non. Le fait que Mme Buzyn ait reçu la Légion d’honneur pour ses années de service devrait envoyer un signal fort indiquant que les hautes sphères ne soutiennent guère la poursuite de cette distraction. L’honneur de la CJR serait de reconnaître la futilité de ces poursuites et de trouver un moyen élégant de clore cette procédure. »

* Peter Hale, créateur et directeur exécutif de la Fondation pour la recherche vaccinale à Washington aux Etats-Unis et Michael Lederman, professeur de médecine, de pathologie, de microbiologie/biologie moléculaire et d’éthique biomédicale, à l’université Case Western Reserve à Cleveland, dans l’Ohio, ont co-écrit, avec 18 autres auteurs, un article en forme de commentaire sur l’affaire Buzyn publié le 29 décembre dernier dans la revue Pathogens and Immunity.