(Une analyse de Kareem Salem, étudiant en Relations Internationales)
Sous embargo diplomatique et économique, établi par l’axe Riyad-Abou Dhabi, depuis le 5 juin 2017, le Premier ministre qatari s’est rendu pour la première fois en Arabie saoudite le mois dernier, à La Mecque, pour participer au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le sommet de la Ligue arabe et au congrès de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). L’envoi du Premier ministre, Sheikh Abdallah Al-Thani pour le triple sommet de La Mecque, avait constitué le plus haut niveau de contact entre le Qatar et les pays membres de l’embargo diplomatique et économique – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte.
Le triple sommet de La Mecque, s’était tenu sous un contexte dans lequel le Golfe arabo-persique traverse une période de turbulences notamment depuis le sabotage, le 12 mai, de quatre navires, dont deux pétroliers saoudiens au large des EAU et qui avait été suivi par l’attaque, deux jours plus tard, d’un oléoduc saoudien par les houthistes, une rébellion pro-iranienne soutenue financièrement et militairement par Téhéran. Ces hausses de tensions dans le Golfe arabo-persique s’inscrivent dans un contexte de sanctions américaines contre l’Iran mais également de renforcement de dispositif militaire américain dans le Golfe.
Souder les alliés arabes vers l’axe Riyad-Abou Dhabi pour imposer un nouveau rapport de force contre l’Iran
L’objectif de l’axe Riyad-Abou Dhabi au triple sommet de La Mecque, était donc de souder les pays du monde arabe dont le Qatar face aux entreprises de déstabilisation mener par l’Iran dans la région du Golfe, au Levant et au Yémen. En effet, le royaume saoudien avait annoncé le 27 mai, d’avoir intercepté deux missiles balistiques lancés par les houthistes vers son territoire.
Or ces sommets n’ont que fait souligner les désaccords persistants entre l’axe Riyad-Abou Dhabi et Doha. Alors que la Ligue arabe avait consacré neuf des dix points de son communiqué final à dénoncer les ingérences de l’Iran au Proche-Orient, notamment son soutien aux rebelles houthistes et son intervention en Syrie et que le CCG avait affirmé sa solidarité avec l’Arabie saoudite et les EAU après les récentes attaques dans le Golfe arabo-persique, le Qatar avait décidé de rejeter le 2 juin 2019, les conclusions des sommets auxquels il a participé. Doha avait estimé que les conclusions établies lors du triple sommet sont contraires à la politique étrangère de l’État qatari, en affirmant que ces communiqués reflétaient la politique américaine en ce qui concerne l’Iran.
Un rapprochement voulu par Doha avec Téhéran
La crise sévère qui oppose Doha avec l’Arabie saoudite et les EAU depuis juin 2017, l’a amené à se rapprocher de l’Iran. En effet dès les premières semaines de cette crise au sein du CCG, Doha a voulu renforcer les relations bilatérales avec Téhéran dans tous les domaines et de renvoyer Mohamed ben Hamad al-Hajri, comme le nouvel ambassadeur du Qatar en Iran, au grand mécontentement de l’axe Riyad-Abou Dhabi. Ce rapprochement a eu pour conséquence un soutien de Doha aux mandataires iraniens notamment avec le Hezbollah – et un désengagement de Syrie. De plus, l’invitation au forum d’al-Jazeera cette année, d’un érudit pro-Rouhani, Mohammad Marandi à Doha ainsi que les multiples apparitions de Mostafa Khoshchesm, un érudit pro-Khomeyniste dans les émissions de « Inside Story », sur la chaîne de al-Jazeera, qui est censé être le porte-voix du Qatar particulièrement dans le monde Arabe, soulignent le changement de ligne politique de ce dernier vis-à-vis de l’Iran. Il est donc peu surprenant que le ministre qatari des Affaires étrangères Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani ait émis des réserves concernant les conclusions établies lors des trois sommets de La Mecque.
Et les États-Unis ?
Afin de régler les tensions entre l’Arabie saoudite et le Qatar, seule la médiation des États-Unis, première puissance économique et militaire peut aboutir à un rapprochement de Doha avec la ligne politique de l’axe Washington-Riyad-Abou Dhabi contre Téhéran. En effet, sous la présidence de Trump, la maison blanche s’est rapprochée de la ligne politique du royaume saoudien vis-à-vis de l’Iran. Dès sa première année de présidence Trump avait souhaité créer un front anti-iranien, à travers les rencontres bilatérales entre celui-ci et le roi saoudien, à Riyad.
Washington possède également des intérêts à Doha, notamment une base militaire à Al Udeid, où 13 000 militaires américains sont stationnés. Ainsi, Washington se présente comme étant un médiateur crédible dans la crise diplomatique entre Doha et l’axe Riyad-Abou Dhabi. Il est dans l’intérêt de Washington de régler cette crise diplomatique entre les trois pays membres du CCG avec le Qatar, puisque cette impasse empêche l’Administration Trump de renforcer la coopération entre les États-Unis et les dirigeants du Golfe dans les domaines sécuritaires et militaires. En effet le président Trump envisage de créer une sorte « d’OTAN arabe » destinée à constituer une alliance d’États du Moyen-Orient afin de contrecarrer l’expansionnisme de l’Iran dans la région. Afin d’infléchir la politique étrangère qatarie, il se peut que Trump menace de délocaliser la base militaire américaine d’Al Udeid vers l’Arabie Saoudite.