(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
Certains y voient les prodromes d’une « hyper-présidence », d’autres parlent d’une volonté de réformes. Moi, je vois plutôt une usurpation du pouvoir qui pourrait nous mener vers un régime totalitaire. En effet, Macky Sall, galvanisé par sa réélection suite à la présidentielle de ce 24 février, avait martelé dans son discours d’investiture sa volonté de mener une politique fast-track.
Pour ce faire, le président Macky Sall, dans son discours d’investiture, n’a pas hésité à mettre sur la table une décision périlleuse qui a suscité la crainte de l’opposition, mais aussi de la société civile : la suppression du poste de premier ministre. Cette décision est d’autant plus périlleuse qu’elle n’a jamais été évoquée par le président durant toute la campagne présidentielle.
Par cette décision hasardeuse et je dirais même anti-démocratique, le président sénégalais, sous le prétexte qu’il veut un gouvernement fast-track, cache la vraie raison de la suppression du poste de premier ministre qui est celle d’avoir les coudées franches et de gouverner contre vents et marées. Ce qui, en démocratie, pose un sérieux problème.
Le plus grave dans cette affaire est que le président sénégalais n’aura plus à craindre le Parlement, jusqu’ici connu comme le représentant du peuple. Car en effet, en supprimant le poste de premier ministre, il fait sauter l’unique verrou dont disposait le Parlement pour s’opposer à sa politique, voire le destituer (si besoin est) : la motion de censure.
Dans les grandes démocraties, la motion de censure est un instrument plus que nécessaire pour réguler le travail de l’Exécutif. En Espagne, en 2018, une motion de censure a fait tomber Mariano Rajoy au profit de Pedro Sanchez. En France, en décembre dernier, en pleine Affaire Benalla, trois partis d’opposition ont tenté en vain de renverser Macron par une motion de censure. En Grande-Bretagne, en pleine crise sur le Brexit, Theresa May, la première ministre, échappe de justesse à une motion de censure. Aux Etats-Unis, si puissant soit le président, il a en face de lui la Chambre des Représentants (Congrès et Sénat) qui peuvent le destituer (Impeachment).
Malgré les efforts colossaux consentis, ces dernières années, pour asseoir les bases d’une démocratie (avec ses imperfections certes, mais une démocratie tout de même) dans la sous-région, nous voilà de retour à des décennies en arrière à cause des desiderata d’un chef d’Etat aux intentions très étranges.
D’ailleurs, depuis plusieurs semaines, la presse fait des révélations assez accablantes concernant cette affaire. Ce jeudi, on nous apprend en effet qu’en vertu d’un amendement de l’article 63 de la Constitution adoptée le 07 juin 2001, Macky Sall pourrait être le seul à pouvoir convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale. Un scandale !
L’Assemblée Nationale ne serait certes pas dissoute. Toutefois, sa légitimité en prendra un sacré coup, étant donné que toutes les décisions (et pas n’importe lesquelles) seront désormais concentrées dans les mains d’un « Etre Suprême » qui ne sera certes pas un Robespierre sénégalais, mais un Sénégalais dont les méthodes ne seront pas si différentes de l’ex révolutionnaire français.
Macky Sall, désormais hyper-président du Sénégal, avait-il vraiment besoin de supprimer le poste de premier ministre sous le simple prétexte qu’il lui faut un gouvernement fast track, plus proche des citoyens ? En tout cas, la rapidité avec laquelle les choses sont en train d’évoluer me laisse pantois.
Je rappelle que le 30 avril, la Commission des Lois a adopté le projet de réforme constitutionnelle pour la suppression du poste de premier ministre. La prochaine étape sera le vote ce week-end des députés en plénière. Et le résultat est connu d’avance. Disposant d’une majorité à l’Assemblée, Macky Sall a déjà remporté la bataille et ne mènera certainement pas la guerre car le vote des députés sera largement en sa faveur.
La prise d’une telle décision dans un contexte politique tendu, marqué par une réélection d’un président de la République dans des conditions douteuses et une série de scandales de corruption qui secoue le régime, est la preuve que Macky ignore les véritables priorités d’un Sénégal qui souffre, où le système éducatif n’est plus performant, où le système sanitaire laisse à désirer et où le système judiciaire n’inspire plus confiance.
Le pays se dirige lentement mais sûrement vers une dictature.