Le Sénégal, partenaire stratégique de la France, est en train de naviguer en eaux troubles et Macron a intérêt à s’inquiéter. En effet, depuis le 3 mars dernier, date à laquelle le principal opposant du pays, Ousmane Sonko, a été arrêté par les forces de l’ordre, le pays tout entier est entré en transe.
Dans la foulée, des milliers de jeunes se sont mobilisés pour dénoncer une arrestation arbitraire dont l’unique objectif semble être d’assassiner politiquement un candidat qui a le vent en poupe et qui est devenu, ces dernières heures, une véritable menace pour Macky Sall, président du pays.
Ainsi, depuis le 3 mars, le Sénégal est en émoi. Des scènes de violence inouïes sont notées dans plusieurs endroits du pays, notamment à Dakar, la capitale. En une semaine de violentes manifestations, le bilan est très lourd : plus de 5 morts, 500 jeunes arrêtés dont 350 déférés et 150 emprisonnés, d’après la presse. Une situation inédite que le pays n’avait pas connue depuis plus d’une décennie.
Si le président Macky Sall tente de calmer la situation à travers une allocution télévisée prononcée ce 8 mars, à Paris, son homologue, Emmanuel Macron, ne dort pas sur ses deux oreilles en raison de l’importance que représente ce pays pour la France, mais aussi ses intérêts géopolitiques et géostratégiques sur le continent africain.
Une crise politique d’une telle ampleur n’est jamais bonne pour l’Hexagone. Et quand cela arrive sous l’ère Macky, c’est encore pire en raison des liens très étroits qui existent entre Emmanuel Macron et Macky Sall. En effet, la complicité qui existe entre ces deux chefs d’Etat ont fini par valoir au président sénégalais le sobriquet caricatural de « préfet de la France en Afrique ».
Il est donc évident que si jamais le président sénégalais, très affaibli politiquement, venait à perdre le pouvoir, ce serait un coup dur pour Emmanuel Macron. N’oublions pas que les multinationales françaises n’ont jamais été aussi favorisées au Sénégal que sous l’ère Macky Sall qui, depuis son arrivée au pouvoir, leur a ouvert toutes les portes du pays. Et les chiffres parlent d’eux–mêmes.
En décembre dernier, la multinationale française Vinci avait touché 388 millions d’euros de l’Etat sénégalais pour la construction du barrage de Sambangoulou. Fin décembre, le Sénégal avait reçu une enveloppe de 1,2 millions d’euros de la France dans le cadre du financement des Jeux Olympiques de la Jeunesse prévus en 2026. En juillet 2020, l’Etat sénégalais avait signé 5 contrats avec la France qui lui avait accordé un prêt de 156 millions de dollars.
Au-delà des juteux contrats passés avec le Sénégal, la France a des intérêts stratégiques dans ce pays. Parmi ces intérêts, figure la multinationale Total qui opère dans ce pays et dont le bénéfice réalisé au Sénégal était estimé en 2019 à 6,3 milliards de FCFA, soit une hausse de 53%. Et Total n’est pas la seule multinationale française à se faire un pognon de dingue au Sénégal. Auchan aussi.
Ce grand groupe de distribution français dont le chiffre d’affaires en Afrique a atteint les 152% (passant de 40 millions d’euros à 101 millions d’euros en 2018), est littéralement en train d’asphyxier ses concurrents locaux, suscitant une grogne de nombreux Sénégalais qui voient sa présence dans ce pays comme une menace aux petits commerçants.
Dans le soulèvement populaire qui a secoué le pays ces derniers jours, Auchan a d’ailleurs été visé par des manifestants en colère. Et ces attaques qui ont ciblé le groupe français ne sont pas passées inaperçues dans les médias français qui ont interprété ces actes comme une déclaration de guerre directe adressée à la France et à ses intérêts au Sénégal.
Depuis la crise politique qui secoue le Sénégal, Emmanuel Macron s’est muré dans un silence ahurissant ne voulant certainement pas donner du grain à moudre à l’opposition française qui l’aurait accusé de s’ingérer dans les affaires internes d’un pays qui n’est plus une colonie française. Cependant, il est évident que les tensions au Sénégal et l’attaque qui a visé les intérêts du pays ne l’ont pas laissé de marbre. Car, au bout du compte, c’est la survie économique de la France qui est en jeu dans cette affaire.
Macron a intérêt à s’inquiéter car l’opposant Ousmane Sonko a, ces dernières années, clairement dénoncé la mainmise des multinationales françaises sur le continent, s’attaquant ostensiblement au FCFA mais aussi au traitement préférentiel dont la France jouit depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir.
Entre Sonko et Sall, le choix de la France est donc vite fait. Le premier se définit comme patriote nationaliste pour qui les intérêts du pays priment sur ceux des puissances étrangères et le second a brillé par une politique étrangère très favorable à la France qui a d’ailleurs fini par exaspérer son ex ministre du pétrole, Thierno Alassane Sall, lequel, après avoir été viré du gouvernement, a vigoureusement dénoncé la soumission du gouvernement de Macky Sall à la multinationale française Total.
Le Sénégal est en train de vivre les moments les plus sombres de son Histoire. Le pays est très fortement divisé entre pro-Sonko qui accusent Macky Sall de vouloir instaurer une dictature et les pros-Macky qui accusent le camp Sonko de chercher à déstabiliser le pays.
Dans ce conflit politique inédit, une puissance étrangère risque d’en payer le prix. La France est avertie. Si Macky tombe, Macron s’en mordra les doigts.