Le Sénégal serait-il en train de devenir la prochaine cible des groupes terroristes qui, en un laps de temps très court, ont mis l’Etat malien à genoux? Telle est la question qui se pose à la suite de l’étude menée par l’Institut d’études de sécurité (ISS) et le Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS).
En effet, dans une étude de 36 pages consultée par Lecourrier-du-soir.com, les chercheurs Paulin Maurice Toupane, Adja Khadidiatou Faye, Aïssatou Kanté, Mouhamadou Kane, Moussa Ndour, Cherif Sow, Bachir Ndaw, Tabara Cissokho et Younoussa Ba ont réussi à détecter des failles dans le système sécuritaire qui pourraient éventuellement être exploitées par les groupes djihadistes. Les régions de Tambacounda et de Kédougou, très proches du Mali, sont particulièrement pointées du doigt.
En raison du caractère très sensible du sujet, Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire le travail intégral dans sa version originale.
Excellente lecture!
« Seules des réponses intégrées, conçues pour se renforcer mutuellement, permettront d’éviter le pire des scénarios dans les zones aurifères.
Bien que situé dans une région où l’extrémisme violent constitue une menace sérieuse, le Sénégal n’a encore officiellement enregistré aucune attaque terroriste ou qualifiée comme telle. Toutefois, depuis deux ans, des incidents sécuritaires sporadiques sont enregistrés le long de sa frontière sud-est avec le Mali.
Les régions de Kédougou et de Tambacounda, qui bordent celle de Kayes du côté malien, sont soumises à une pression sécuritaire croissante. Au Mali, les attaques des groupes extrémistes violents, initialement circonscrites au nord et au centre, se sont en effet progressivement étendues, y compris vers l’ouest, en direction du Sénégal.
Les autorités sénégalaises ont mis en place des mesures sécuritaires. Les risques pour le Sénégal ne se limitent toutefois pas seulement aux attaques potentielles. Il concerne également le fait que le territoire sénégalais puisse être utilisé pour le financement, l’approvisionnement et le recrutement.
Une récente étude conjointe de l’Institut d’études de sécurité et du Centre des hautes études de défense et de sécurité, sur le risque de propagation de l’extrémisme violent au Sénégal, identifie des points de vulnérabilité dans les régions de Kédougou et de Tambacounda pouvant servir la stratégie d’expansion de groupes extrémistes violents.
Le caractère informel et clandestin de l’orpaillage et de la commercialisation de l’or figure parmi les vulnérabilités majeures. L’absence de traçabilité des ressources, tant de celles qui financent l’activité aurifère que de celles qui découlent de la commercialisation de l’or extrait, alimente les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. L’exploitation aurifère constitue déjà une source de financement des groupes extrémistes violents au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Une autre vulnérabilité que les groupes pourraient exploiter à des fins d’expansion est le sentiment d’exclusion que ressentent les populations locales et qui résulte de la faiblesse des opportunités économiques et des infrastructures sociales de base. Kédougou et Tambacounda font toutes deux partie des zones les plus démunies du Sénégal, et ce, malgré le potentiel économique, notamment aurifère, dont elles disposent. À Kédougou, alors que l’extraction de l’or constitue un secteur majeur de l’économie locale et régionale, la situation socio-économique n’a pas considérablement évolué, le taux de pauvreté s’établissant à 61,9 % en 2021.
Au Sahel, les relations tendues entre l’État et les populations locales, frustrées, ont permis aux groupes extrémistes violents de s’implanter dans des localités spécifiques. De même, ces groupes pourraient instrumentaliser les dynamiques conflictuelles du sud-est du Sénégal pour étendre leur influence.
Les importants flux migratoires et financiers que génère l’orpaillage bouleversent les rapports sociaux et entraînent des dynamiques conflictuelles, sur fond de tensions liées à l’accès aux ressources. Elles risquent de s’aggraver avec l’intensification de l’exploitation aurifère. Les extrémistes pourraient soit se poser en arbitre, soit prendre parti afin de s’implanter.
En outre, la criminalité transnationale organisée et l’économie illicite qu’elle engendre dans la zone pourraient aussi profiter aux groupes extrémistes violents. L’exploitation aurifère dans les régions de Kédougou et de Tambacounda s’est accompagnée d’une prolifération de différents types de trafics (drogues, faux médicaments, mercure et cyanure, explosifs et traite des personnes).
L’existence de trafics illicites, structurés autour de réseaux transnationaux, constitue pour les groupes extrémistes violents une opportunité d’approvisionnement en moyens opérationnels, de recrutement et de création d’alliances de circonstance avec des acteurs qui cherchent également à échapper au contrôle de l’État.
Prévenir efficacement les risques d’expansion de la menace extrémiste violente et d’une crise sécuritaire dans le sud-est du Sénégal, riche en or, nécessite des réponses intégrées, conçues pour se renforcer mutuellement et générer des impacts à court, moyen et long-terme.
Dans ses actions préventives, le Sénégal gagnerait à adopter une approche véritablement multidimensionnelle qui mettrait l’accent sur la réduction de la précarité socio-économique, en particulier dans les zones frontalières. Cette approche consisterait notamment à mettre en place de manière accélérée, efficace et harmonisée des programmes publics de développement dans les deux régions. Ériger le sud-est du pays en zone d’intervention prioritaire enverrait un signal fort aux populations de Kédougou et Tambacounda quant à la volonté de l’État de changer la donne socio-économique.
Accélérer le processus de formalisation de l’Exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) et le rendre inclusif doivent aussi être au cœur de la réponse. C’est un levier important dans la lutte contre les vulnérabilités qui gangrènent les deux régions. Il permettrait de mieux encadrer l’exploitation et la commercialisation de l’or, ce qui contribuerait à limiter non seulement les pertes financières pour le Sénégal, mais aussi le risque que la situation actuelle ne facilite le financement des groupes armés terroristes et d’autres acteurs criminels.
Une montée en puissance sécuritaire et militaire adaptée aux besoins des populations, et qui tiendrait compte des divers types d’activités criminelles dans les régions concernées, est également nécessaire. Elle permettrait certainement de limiter les trafics et les activités des acteurs criminels sur lesquels peuvent s’appuyer les groupes extrémistes violents. Elle constituerait aussi une occasion de renforcer les relations entre les forces de défense et de sécurité et les communautés. Car une présence sécuritaire massive mais mal encadrée pourrait attiser les tensions entre les représentants des forces de défenses et de sécurité et les populations.
Une partie importante de la solution réside dans des réponses multiformes à mettre en œuvre au niveau national. Le Sénégal ne pourra cependant efficacement faire face à ces défis et ces menaces à la sécurité humaine que s’il inscrit son action dans une dynamique régionale, de concert avec les pays voisins concernés, à savoir la Guinée, le Mali, et la Mauritanie. »
Pour lire l’étude dans sa version intégrale, cliquez ici : ISS Africa