Un édito du Washington post sur la crise diplomatique qui menace sérieusement les relations entre l’Europe et les Etats-Unis
Alors que Trump s’apprête à se rendre en Europe le mois prochain pour assister au sommet de l’OTAN et rencontrer Vladimir Poutine, président russe, ses attaques personnelles contre l’Union Européenne et d’autres piliers de l’ordre Occidental sont en train d’éclipser les tentatives de sa propre administration de rassurer les alliés que les Etats-Unis croient toujours au projet transatlantique qu’ils ont mené depuis les années 40.
En fin avril, lors d’une rencontre privée à la Maison Blanche, le président Trump s’entretenait avec le président français, Emmanuel Macron, sur le commerce. En un moment donné, Donald Trump demande à Macron : « pourquoi ne quittez-vous pas l’Union Européenne ? ».
Il a ensuite ajouté que si la France quittait l’UE, il (Trump) lui proposerait un meilleur accord bilatéral que celui de l’UE sur le commerce. C’est ce qui a été révélé par deux autorités européennes. La Maison Blanche n’a jamais remis en cause cette révélation, mais a décliné de commenter cette affaire.
Pour le moment, mettons de côté l’idée que la proposition de Trump montre un sérieux manque de compréhension des visions de Macron et de celles qui l’ont élu. Ceci est un exemple dans lequel le président des Etats-Unis avance une proposition (alléchante) pour démanteler une organisation mise en place par des alliés des Etats-Unis. Une proposition qui, d’ailleurs, va à l’encontre de la politique (étrangère) nord-américaine.
Depuis sa campagne présidentielle, Trump n’a cessé de s’attaquer ouvertement à l’Union Européenne et à l’OTAN, sauf que le rythme et la férocité de ses attaques se sont multipliés. Cette semaine, lors d’un meeting dans la ville de Nord Dakota, Trump disait : « l’UE, bien sûr, a été créée pour profiter des Etats-Unis, pour s’attaquer à notre tirelire ». Ensuite, il s’est plaint de notre déficit commercial qui s’élève à 150 milliards de dollars envers l’UE. Un chiffre qu’il a d’ailleurs gonflé.
Certains révèlent que Trump a récemment fait savoir aux dirigeants du G7 que l’OTAN est « aussi mauvais que l’ALENA », allant jusqu’à faire savoir au premier ministre suédois que l’Amérique du Nord devrait quitter l’OTAN. Trump s’était payé la tête de la chancelière allemande, Angela Merkel, de plus en plus affaiblie au niveau national.
Cette tendance nous mène à la conclusion suivante : Trump ne croit ni à la sainteté continuelle de l’Union Européenne et de l’OTAN, ni à l’engagement des Etats-Unis envers ces deux institutions.
Les partisans de Trump disent que le président américain ne fait que balancer des idées pour obtenir des réactions. Pour d’autres, ses motivations sont particulièrement politiques et nationalistes ou alors il parle plus qu’il n’agit. Beaucoup nourrissent l’espoir que les hautes autorités diplomatiques et militaires qui entourent Trump puissent toujours mettre en place une politique sérieuse afin de rassurer les alliés, gérer les ardeurs de Trump et conjurer tout danger.
Lors de la première année de Trump à la Maison Blanche, cela était plausible et ceci avait rassuré les alliés européens. Cependant, lors de sa deuxième année, Trump ne se gêne plus. Son équipe de sécurité nationale ne peut qu’essayer de jouer sur les peurs en tentant de répondre avec une stratégie responsable au mantra de Trump : « America First » (Amérique d’abord).
Cette semaine, lors d’une interview accordée à la presse, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a déclaré que Trump essaie de remettre à jour « l’ordre mondial libéral, mais qu’il ne visait pas à le démanteler ». Selon Pompeo, Trump se pose en « perturbateur » en forçant les alliés à s’accorder sur des réformes qui n’arrangent que les intérêts américains.
Wess Mitchell, vice-secrétaire d’Etat américain, a qualifié l’approche de Trump « stratégie de rénovation » lors d’un discours tenu la semaine dernière à Bruxelles. Selon Mitchell, faire face aux désaccords notés sur le commerce peut renforcer l’alliance en vue d’une concurrence stratégique avec la Russie et la Chine.
Toutefois, ces efforts pour rassurer l’Union Européenne sont en train de tomber à l’eau. En effet, les autorités européennes ne croient plus à Trump. Pour elles, la rupture qui frappe l’alliance n’est ni routinière ni temporaire. Elles ne croient pas qu’il soit possible de réparer le pont transatlantique démoli par un tremblement de terre provoqué par Trump. Les pays de l’Union Européenne n’ont ainsi plus d’autre choix que de trouver une alternative au leadership américain.
Dans un échange que j’ai eu avec Tony Blair, ancien premier ministre britannique, il me disait ceci : « si vous regardez le monde d’aujourd’hui, vous comprenez que la position de l’Occident va être remise en cause pour la première fois depuis plusieurs siècles. Et si l’Occident est désuni, il va être beaucoup moins capable de faire face à ce défi ».
Si l’Europe ne sent vraiment pas que les Etats-Unis sont de son côté, le risque est que les pays européens se retourneront vers d’autres forces géopolitiques et ceci est très mauvais pour les Etats-Unis, me disait Blair.
Evidemment, les opinions de Trump sont très proches de celles de Poutine, y compris sur le statut de la Crimée, sur l’aide accordée à l’Ukraine et sur l’ingérence russe dans les élections américaines. En gros, les charges de Trump contre l’Union Européenne et contre la relation Europe/Etats-Unis sont une aubaine extraordinaire pour la Russie.
Lors d’une autre interview accordée à Joe Biden, ex vice-président des Etats-Unis, celui-ci me disait ceci : « tant qu’il y aura une Europe unie qui maintiendra l’ordre libéral international avec une feuille de route claire, ce sera un désastre pour un dictateur comme Poutine. C’est pour cela que Poutine fait ce qu’il fait ».
Les Etats-Unis et l’Europe ont eu des différends dans le passé. Il est donc possible que ce problème finisse par être résolu. Pendant ce temps, Trump est en train de causer des dégâts considérables et inutiles. Ses actions intentionnelles et scandaleuses pour détruire l’UE, l’OTAN et les relations qui lient les Etats-Unis avec ces deux (UE et OTAN) doivent être perçues comme elles sont, c’est-à-dire une tentative éhontée de défaire les infrastructures stratégiques dont l’Amérique et l’Europe ont plus que jamais besoin.
Edito signé : Josh Rogin, analyste politique pour Washington Post et la CNN.
L’édito a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Pour lire dans sa version originale, cliquez ici : Washington Post