Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise, a réagi à l’actualité. Il s’est prononcé sur le bras de fer qui oppose Macron à l’Armée française, sur la rafle de Vel d’Hiv, la présence de Trump lors des festivités du 14 Juillet et sur l’invitation de Benjamin Netanyahou en France. Sur son blog, Mélenchon dénonce l’ « ivresse des sommets » du nouveau président français
Voici l’intégralité de son article publié sur son blog
Dans l’enceinte du Parlement, les débats ont tourné autour de deux questions qui concentrent la méthode Macron. D’un côté les ordonnances sur le code du travail, de l’autre la reconduction de l’état d’urgence. Dans les deux cas, tout fut présenté et expédié dans les termes et les formes des passages en force les plus arrogants. Mais ce n’est pas tout. Dans la même semaine d’autres signaux ont été adressé à l’opinion. Ils sont tout aussi préoccupants. On croirait voir les effets d’une certaine ivresse des sommets ! De voyages en réception, de discours en discours, le nouveau président dessine un étrange profil où il semble parler avec son miroir. Le discours de Versailles faisant l’apologie de la « France girondine », puis de la « République du contrat » a fonctionné comme un manifeste et un signal de ralliement pour toute une tendance très ancienne du paysage politique des Français et de l’histoire des idées dans ce pays. Comme elle suppose un tel basculement des principes au poste de commande, on a d’abord du mal à croire que ce soit autre chose que des formules déclamatoires. Pourtant, leur mise en œuvre immédiate avec les ordonnances sur le code du travail a montré que le président est fermement décidé à passer à l’acte.
Ceci posé éclaire comment comprendre les événements aussi surprenants que la mise en garde adressée au chef des armées, l’accueil en grande pompe de Monsieur Trump puis de façon encore plus sidérante celui de Monsieur Netanyahou, le Premier ministre du gouvernement d’Israël ! Voyons cela.
Il va de soi que le devoir des militaires est de servir et d’obéir. Aussi longtemps que la règle posée ne leur reconnaît ni le droit de se syndiquer ni celui d’exprimer une opinion politique, cette règle s’impose et il n’appartient à aucun de ses chefs de la violer. Pour autant, au cas précis de l’intervention du Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, la violence du recadrage et son caractère inutilement humiliant font réfléchir. Pierre de Villiers s’est exprimé dans le cadre de questions qu’on lui posait à la commission Défense de l’Assemblée nationale. Son devoir devant la représentation nationale est donc de répondre avec franchise et sincérité aux représentants du peuple. Dans un tel contexte, on ne peut lui reprocher d’avoir dit ce qu’il pense et ce qu’il croit juste à propos de la situation des armées. Dès lors, le président n’est pas fondé à dire que ce serait là « étaler en public » les problèmes qui se posent. Je précise ce point, car sur un sujet aussi délicat que celui des rapports d’autorité entre l’armée et les responsables politiques du pays, il faut fonctionner dans la plus grande rigueur et le respect de l’esprit des lois qui les organisent.
Dans ces conditions, si fermement que je sois attaché à l’autorité supérieure du politique sur les militaires et à leur devoir de stricte obéissance, je désapprouve, après y avoir sérieusement réfléchi, l’admonestation à laquelle s’est livré le président de la République. Je la désapprouve pour la raison de fond que je viens d’évoquer : le général devait dire ce qu’il pense vraiment et sincèrement dans les mots qui lui paraissaient les plus adaptés pour décrire son état d’esprit. Mais aussi parce que la préoccupation qu’il exprime est trop délicate pour être seulement réglée par un rappel à l’ordre.
Les armées sont bel et bien placées dans une situation extrêmement tendue. Impliquées sur quatre fronts dans des conditions de pénurie de moyens bien connues, elles se voient annoncer par la presse une nouvelle série de coupes budgétaires extrêmement mutilantes. Quoi que l’on pense de la valeur de la dépense militaire, quoi que l’on pense des conflits dans lesquels nos forces armées sont engagées, le devoir du pays reste d’assumer ses décisions. On ne peut ouvrir quatre fronts sans savoir qu’il faudra les financer. Refuser de le faire au moment où des hommes et des femmes sont engagés dans le combat est de nature à disloquer tout le système en lui donnant la preuve que ses chefs eux-mêmes ne croient pas à la valeur de ce qu’ils ont décidé. C’est donc une très grave faute politique. Si particulier qu’il soit, le commandement sur les militaires ne s’est pourtant jamais réduit à des aboiements. Les militaires, comme toutes les autres communautés de fonctionnaires, ne sont pas exempts des exigences du consentement à l’autorité dans un pays démocratique.
À cela s’ajoute d’autres impératifs à prendre en compte. Le président qui décide des coupes budgétaires est aussi celui qui ne cesse de répéter qu’il consacrera 2 % de la richesse du pays au financement des armées. Tout le monde a relevé l’incohérence de cette situation ! Mais il faut surtout montrer le soubassement qui est à l’origine de ces comportements erratiques. À quoi bon parler de dépenses quand on n’a pas parlé des objectifs ni la stratégie pour les atteindre ! Quel est le niveau de dépenses nécessaires ? Celui qui permet de financer les objectifs que l’on se donne ! Quels sont ses objectifs ? Voilà ce qu’on a du mal à savoir en écoutant et en regardant se comporter le président Macron. C’est ce qui met à nu le caractère purement autoritaire et démonstratif de l’admonestation qu’il a adressée aux chefs des armées le 13 juillet. Quand dans la même semaine le président annonce un improbable plan de rapprochement militaire avec l’Allemagne, l’amertume gagne ! Quoi ! On a déjà vendu la moitié de l’entreprise qui produit les chars Leclerc à une famille de milliardaires allemands. On pensait que l’air du bradage généralisé qui a été la caractéristique de la présidence de Monsieur Hollande en matière de défense était enfin terminé. Apparemment il n’en est rien. Les armées qui utilisent dorénavant le fusil allemand voleraient demain dans des avions dont la production échapperaient aussi au contrôle du pays !
Quel genre de doctrine de défense cela sous-entend-t-il ? Depuis quand la question de l’indépendance et donc de la maîtrise de la production de matériel militaire est-elle devenue un sujet sur lequel un homme seul peut décider de tout changer sans qu’on en discute une seule minute ? On avait vu Hollande signer à Chicago en 2012, dès son élection, l’accord permettant l’installation des missiles antimissile nord-américains en Pologne. Le nigaud s’était vanté à l’époque de ce que ses « réserves » aient été entendues ! Quelle foutaise ! Après cela, quel est le sens de la dissuasion nucléaire française ? Personne ne l’a jamais dit, personne n’a jamais discuté. Cela continue pourtant encore à présent. J’admets qu’on puisse penser autrement que comme je le fais et que l’on considère que la maîtrise de la production des matériels militaires est une idée dépassée. Mais alors qu’on le dise et qu’on vote sur le sujet. L’autoritarisme combiné à l’exercice solitaire du pouvoir sur les questions essentielles touchant à l’indépendance du pays nous mettent en très grande fragilité militaire.
L’accueil réservé à Monsieur Trump était insupportablement carnavalesque. Le prétexte de la participation du gorille nord-américain sonnait si étrangement ! Nous célébrions, paraît-il, l’entrée en guerre, en avril 1917, des États-Unis d’Amérique à nos côtés contre l’Allemagne. Combien se seront donné le mal de noter qu’avril 1917, pour une guerre commencée en août 1914 et qui finira en novembre 1918, c’est bien tard ! Je le reconnais : le thème des dates d’entrée en guerre des USA dans la première comme dans la seconde guerre mondiale restent des sujets trop délicats pour être abordés sans précautions oratoires. Je n’en ai pas le temps ici, ni la patience. J’en reste donc à cette remarque que l’année 1917 c’est plutôt l’année d’une immense réaction populaire contre la guerre. Elle s’exprima par la victoire des bolcheviques en Russie et le triomphe de la révolution d’octobre, mais aussi par d’innombrables rébellions sur tout le front de l’Ouest dans les troupes françaises, britanniques et autres ! Tout fut réprimé de ce côté-là et la polémique continue sur le sort que l’on doit réserver à la mémoire des appelés insoumis qui furent alors fusillés parce qu’ils voulaient arrêter la guerre.
Si l’on oublie le caractère discutable de cette célébration et la forme particulière de schizophrénie qu’elle exprime, le reste ne vaut pas mieux ! Pourquoi inviter Trump ? Comment oublier le crime contre l’humanité qu’il est en train de commettre avec son refus de l’accord de Paris sur le climat ? Pourquoi l’inviter à passer en revue nos forces armées à l’heure où il organise des provocations guerrières dans tout l’est de l’Europe, en Pologne, en Ukraine, et sur toutes les façades extérieures de la Russie ? Je mets en garde ! Les Français n’ont jamais aimé servir ou honorer des maîtres qu’ils ne se sont pas choisis. Des millions d’entre eux ont ricané amèrement, certains ont manifesté, la plupart ont tourné le dos en grondant. Que voulait prouver Monsieur Macron de cette façon ? Rien n’est clair. Du coup, le seul sens qui vaille est celui que l’image propose : Trump et Macron partagent la même vision à propos des alliances et des guerres en Europe.
L’invitation du chef du gouvernement d’extrême droite en Israël a suscité des haut-le-cœur de tous côtés pour les raisons politiques que l’on comprend sans difficulté quand on n’est pas d’extrême droite. Mais c’est surtout les prises de position du président français dans cette circonstance qui posent problème. Lier l’antisionisme et l’antisémitisme est une thèse très ancienne des milieux communautaristes. Mais c’est la première fois que cette thèse est rendue officielle par le président de notre République. Ce n’est pas un petit sujet que de lier une opinion politique à un délit puni par la loi en France. Qui pourrait admettre qu’une telle option soit prise au nom du pays tout entier sans une seconde de discussion par qui que ce soit, du seul fait que le Prince l’a décidé ?
Après cela, déclarer que la France est responsable de la rafle du Vel’ d’Hiv’ est là encore un franchissement de seuil d’une intensité maximale. En effet, nul ne peut contester que des Français ont été personnellement responsables du crime comme ce fut le cas, notamment, dans la police qui opéra la rafle sans exprimer la moindre protestation ni acte de résistance, mais aussi de la part de toutes les autorités de tous ordres qui se rendirent complices, soit activement, soit par leur silence, soit parce qu’elles avaient renoncé à s’y opposer de quelque façon que ce soit. Mais dire que la France, en tant que peuple, en tant que nation est responsable de ce crime c’est admettre une définition essentialiste de notre pays totalement inacceptable.
La France n’est rien d’autre que sa République. À cette époque, la République avait été abolie par la révolution nationale du maréchal Pétain. Dans cette vision de l’Histoire, la France, à cette époque, était à Londres avec le général De Gaulle et partout des Français combattaient l’occupant nazi. Sur le territoire national, il n’y avait rien d’autre qu’une nation dirigée par un régime de fait dans un pays dont la moitié était occupée par les armées nazies et l’autre moitié dirigée par des gens qui avaient imposé de force une idéologie jumelle. Jamais, à aucun moment, les Français n’ont fait le choix du meurtre et du crime antisémite ! Ceux qui ne sont pas juifs ne sont pas tous, globalement et en tant que Français, coupables du crime qui a été commis à ce moment-là ! Tout au contraire, par sa résistance, ses combats contre l’envahisseur et par le rétablissement de la République dès que celui-ci a été chassé du territoire, le peuple français a prouvé de quel côté il était réellement. Il n’est pas au pouvoir de Monsieur Macron d’assigner tous les Français à une identité de bourreau qui n’est pas la leur ! Non, non, Vichy ce n’est pas la France !
Ces débats ne sont pas nouveaux. Ils ont leur dignité aussi longtemps qu’on accepte d’en parler avec le souci de l’amour que nous devons à notre pays avant tout autre. Ce qui n’est pas admissible c’est que du chef d’état-major des armées au peuple tout entier, nous soient intimés sur le ton du commandement le plus autoritaire l’identité du pays, ses références, son histoire. Cela par un seul homme sans qu’aucune réplique ni discussion ne puissent avoir lieu. Je mets en garde : méconnaître les fondamentaux de l’identité républicaine du pays expose ceux qui la molestent ou la violentent à de puissants et irréversibles retours de bâton venant du plus profond du sentiment commun des Français.
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