Il veut plaire à tout le monde, mais sa stratégie de séduction risque de lui coûter très cher. Christophe Castaner sera-t-il la prochaine victime sur la liste des ministres dont les Français réclament la tête? Son départ de la Place Beauvau n’est pas encore à l’ordre du jour, mais le ministre de l’Intérieur dont l’image a été très écornée par la crise des Gilets Jaunes risque gros.
Cette fois-ci, c’est une révolte sociale qui se déroule à des milliers de kilomètres de la France qui pourrait le faire tomber : les manifestations violentes qui secouent plusieurs Etats américains depuis près d’une semaine suite à la mort tragique de George Floyd, Afro-américain tué par un policier blanc lors d’une interpellation qui a viré au drame.
Dans les premières heures qui ont suivi cet assassinat tragique qui a fait le tour du monde, personne ne pensait que la colère des citoyens contre les violences policières et le racisme institutionnel dont sont victimes des Français d’origine allait s’abattre sur la France. Hélas, ce fut le cas. En effet, ce 2 juin, 20 000 personnes ont été mobilisées en France pour réclamer justice pour Adama Traoré.
Et ne fut pas tout. Depuis, plusieurs manifs sont régulièrement organisées en France pour dénoncer le racisme et la violence policière qui sévissent dans le pays en violation totale des règles de l’Etat d’urgence qui, jusqu’ici, est en vigueur et interdit tout rassemblement de plus de 10 personnes.
Cette situation plonge l’Exécutif dans l’embarras et met Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, dans une situation extrêmement difficile. Désormais, devenu malgré lui la cible de la gauche radicale et de l’extrême-droite, il fait face à la colère des policiers qui se sentent abandonnés mais aussi à celle d’une partie de la population qui lui reprochent de n’avoir pas fait assez pour les protéger.
Comment Castaner va-t-il ainsi sortir de ce gouffre dans lequel il s’est enlisé? Face à cette crise qui lui tombe dessus, il faut dire que le ministre de l’Intérieur est totalement désarmé. Cueilli à froid, il n’a aucune solution pour calmer les tensions qui risquent de gagner de l’ampleur et sa stratégie de souffler le chaud et le froid risque de lui coûter très cher.
Alors, penchons-nous sur sa réaction à cette colère sociale qui vient de s’abattre sur la France. Le ministre de l’Intérieur a annoncé ce 8 mai une série de mesures, parfois contradictoires qui ne l’aident guère dans ces temps durs pour un Exécutif qui doit rendre des comptes dans sa gestion de la crise sanitaire.
Castaner a en effet interdit ce 8 mai l’étranglement, pratique très critiquée en France mais très populaire aux Etats-Unis. Il a aussi promis des sanctions à l’encontre des policiers ou gendarmes soupçonnés de racisme. Une mesure qui pourrait lui valoir l’animosité des syndicats policiers qui la qualifie de « surréaliste ».
Pour ce qui est de la prochaine manifestation prévue le 9 mai et organisée par les militants anti-racistes et anti-violences policières, là également le ministre a péché. Que décide Castaner sur ce sujet? Il a en effet décidé d’autoriser les manifestions tout en reconnaissant qu’elles sont illégales. Une explication qui, dans une France en colère, risque d’étonner plus d’un si on sait qu’à la date du 16 mai, toutes les manifs Gilets Jaunes ont été interdites et que certains d’entre eux ont été verbalisés.
Castaner se trouve désormais entre l’enclume et le marteau. En reconnaissant qu’il peut bien y avoir quelques cas de racisme chez les forces de l’ordre, il s’attire l’immense courroux de l’extrême-droite qui l’accuse d’avoir « lâché la police et la gendarmerie ». Et de l’autre côté, la gauche l’accuse d’être « absolument » responsable de ces violences policières contre les Français.
Dans cette énième crise sociale qui pourrait sonner le glas de la Macronie, il va falloir choisir un camp : soit on est avec la population et dans ce cas, on reconnaît que les forces de l’ordre appliquent des méthodes violentes qui doivent être condamnées ou on les soutient et dans ce cas on se met à dos une partie de la population.
Je dois souligner que lors de la crise des Gilets Jaunes, toute l’opposition était Gilet Jaune et chacun essayait de tirer profit d’une colère sociale qui n’avait jamais autant secoué la France depuis mai 68. Cette fois-ci, la donne a changé. Au-delà d’un conflit entre policiers et pouvoir, c’est aussi une confrontation entre deux idéologies que tout sépare : une extrême-droite qui refuse catégoriquement de voir les violences policières dans des quartiers où habitent des populations venues principalement d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb et une gauche qui estime que ces violences policières de plus en plus dénoncées dans les médias reflète le racisme d’Etat et a pour but de priver une partie de la France de sa dignité.
La nouvelle crise s’annonce extrêmement périlleuse pour un Exécutif qui ne s’y attendait pas. Jusqu’à récemment, le débat politique en France a été en effet dominé par la gestion de la crise sanitaire décriée par une grande partie de l’opposition ainsi que les tensions qui minent le groupe parlementaire du parti présidentiel. Toutes les questions sociales avaient disparu des radars.
L’Etat veut couper court à toute rumeur sur son abandon de la police et des forces de l’ordre. D’ailleurs, ce 9 juin, Edouard Philippe s’est déplacé à Evry où il s’est félicité d’avoir rencontré les gardiens de la paix. Et de l’autre côté, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a tenté, en vain, de se réunir avec la famille d’Adama Traoré qui a décliné son invitation.
L’Etat ne veut surtout pas entrer dans une guerre contre les forces de l’ordre car ce serait aussi entrer en guerre contre la droite et l’extrême-droite qui ont fait de la défense de police, de la gendarmerie et de l’armée des valeurs sacro-saintes de leur idéologie. Mais, il lui serait fatal de ne pas entendre la colère d’une partie du peuple qui s’indigne du traitement inhumain réservé à des citoyens français de la part d’une police dont les méthodes sont de plus en plus remises en question. Ce serait clairement entré en guerre contre une gauche qui, ces dernières années, s’est servie des questions sociales, notamment des banlieues, comme réservoir électoral.
Castaner joue gros dans cette affaire qui ne fait que commencer. Si la crise est vite résolue, tant mieux pour lui. Si les manifestations anti-police et contre le racisme, totalement illégales (comme il l’a lui-même reconnu) prennent une tournure violente, sa légitimité sera totalement écornée.
Je dois rappeler que la mort tragique de Steve Caniço le soir de la fête de la musique est encore dans les tous esprits et les Français n’ont pas pardonné à Castaner la disparition de ce jeune homme de 24 ans dont la mort, causée par la violence policière, aurait pu être évitée.
Castaner n’est pas aimé par les Français. Ni à gauche, ni à droite. Mais, Macron n’a certainement pas voulu se débarrasser de lui pour ne pas ajouter de la crise à la crise. Désormais, c’est son baptême de feu qui commence d’autant plus que le remaniement arrive à grands pas. S’il commet la moindre faille cette fois-ci, il sortira de la Place Beauvau par la petite porte.