Yanis Varoufakis, ex ministre grec des Finances, a accordé une interview exclusive au journal Le Monde publiée ce vendredi 13 octobre 2017. L’ex ministre grec dit approuver le projet d’Emmanuel Macron sur l’Europe, mais estime que le président français « a échoué » dans la manière dont il entend le mettre en œuvre
« Emmanuel Macron et moi sommes d’accord : le fédéralisme est la solution. Mais, il a déjà échoué, car la stratégie qu’il met en œuvre pour y parvenir ne peut pas fonctionner », juge-t-il. Et d’ajouter : « il s’est engagé à ‘germaniser’ le marché du travail français en le flexibilisant, et à faire un peu d’austérité espérant que, en échange, l’Allemagne acceptera de construire un budget commun. C’est une grave erreur, car Angela Merkel n’en veut pas. Le FDP (parti libéral-démocrate) a promis à ses électeurs de dire non à toute forme de mutualisation de la zone euro ».
« Elle est terrifiante »
L’ancien ministre grec lance un message à Emmanuel Macron. « Mon message à Emmanuel Macron est le suivant : sa seule chance de l’emporter est d’adopter la politique de la chaise vide, comme l’a fait en son temps le Général De Gaulle. A savoir, déserter tous les sommets européens jusqu’à ce que l’Allemagne s’engage dans le fédéralisme. Sans cela, la monnaie unique est condamnée », prévient-il.
Yanis Varoufakis est également revenu sur son passage à l’Eurogroupe. Il en garde un souvenir amer. « Peu d’Européens imaginent à quel point leur vie est déterminée par l’Eurogroupe. Il a pris le pouvoir sur la Commission Européenne, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le plus choquant est qu’au sein de cette instance, ce ne sont pas les ministres des finances qui tranchent. Les décisions sont prises derrière les portes, par d’obscurs technocrates non élus, à l’exemple de Thomas Wieser (Autrichien à la tête du groupe de travail qui prépare les réunions de l’Eurogroupe). J’ai vu la face sombre de l’Union européenne. Elle est terrifiante », révèle-t-il.
« Ils ont jeté une partie de leur souveraineté dans un trou noir »
Pour l’ex ministre, le seul moyen de rendre l’Europe plus démocratique est « d’instaurer un gouvernement fédéral élu, avec un ministère des finances qui lèverait l’impôt pour l’ensemble des Européens ». « Nous pourrions nous inspirer du fonctionnement de l’Etat fédéral américain. Aujourd’hui, nous avons dix-neuf Etats sans banque centrale dévolue et une Banque Centrale Européenne (BCE) sans gouvernement en face ! C’est absurde », s’agace-t-il.
Yanis Varoufakis, connu pour son franc-parler, estime que les Etats européens ont déjà renoncé à une partie importante de leur souveraineté. « (…) Ils y ont déjà renoncé. Pis, ils l’ont jetée dans un trou noir. Ils ont les mains liées par un pacte budgétaire et les décisions sont prises non démocratiquement, dans l’ombre de l’Eurogroupe. Ils gagneraient à confier leur souveraineté à un gouvernement fédéral élu », suggère-t-il.
« Nous serons démunis lorsque la prochaine crise frappera »
La question de l’indépendance de la Catalogne a également été abordée par l’ancien ministre du gouvernement d’Alexis Tsipras. « Le vœu séparatiste de la Catalogne est en partie le fruit des politiques d’austérité imposées à l’Espagne. La situation est comparable à celle du Royaume-Uni : le libéralisme exacerbé de Londres a nourri le nationalisme écossais. C’est parce que l’Europe fonctionne mal que les mouvements indépendantistes se manifestent. Changeons-le », dit-il.
Sur la question de la reprise économique de la zone euro saluée par de nombreux dirigeants, Yanis Varoufakis dira : « quelle reprise ? La baisse du chômage est en trompe-l’œil : les emplois créés sont de mauvaise qualité. L’investissement reste à un plus bas historique. Le redémarrage de la consommation est artificiellement gonflé par l’endettement des ménages et les actions de la BCE. Dans ces conditions, nous serons démunis lorsque la prochaine crise frappera. D’autant que nous n’aurons pas encore liquidé les conséquences de la précédente ».
« La Grèce est condamnée à la désertification »
Parlant de son pays, Varoufakis se montre très pessimiste. « Non, l’économie hellène ne repartira jamais si rien ne change. Derrière les chiffres présentés comme encourageants, l’Etat, les banques et les entreprises sont en faillite. Aucun investisseur sérieux ne viendra placer son argent dans un pays où les créanciers exigent que le gouvernement dégage un surplus budgétaire de 3,5% du produit intérieur brut pendant des années, laminant au passage la demande intérieure », note-t-il.
L’ex ministre grec des finances note que la situation de son pays est d’une gravité extrême. « Pis, la Grèce est condamnée à la désertification. Les jeunes gens les plus brillants sont partis et l’émigration continue. Des milliers d’entreprises ont déjà plié bagage pour s’installer en Bulgarie, où l’impôt sur les sociétés est de 10% seulement. Elles ne le font pas par gaieté de cœur, mais par désespoir. Les créanciers ont imposé une hausse de la TVA en assurant que cela gonflerait les recettes publiques. Une absurdité : cela a détruit un peu plus encore le tissu industriel », déplore-t-il.
« A l’époque, fin avril 2015, il avait déjà capitulé face aux créanciers »
Yanis Varoufakis dénonce l’attitude d’Alexis Tsipras, premier ministre grec, qui, selon lui, a capitulé face aux créanciers. « Lorsque j’étais ministre des Finances, j’ai mis sur la table un plan réaliste pour restructurer la dette publique. L’idée était, dans les grandes lignes, de remplacer une partie de cette dette publique par des obligations indexées sur la croissance, et de transformer les obligations détenues par la BCE en dette perpétuelle. Je l’ai présenté, mais Alexis Tsipras ne l’a pas défendu. A l’époque, fin avril 2015, il avait déjà capitulé face aux créanciers. Il n’allait pas tarder à accepter les mesures d’austérité exigées. », explique-t-il.
Il ajoutera : « il (Tsipras) m’a simplement dit : ‘il faut donner pour recevoir’. Selon lui, la Grèce pourrait restructurer sa dette en échange de l’austérité. Je lui ai pourtant expliqué qu’en acceptant de dégager un surplus de 3,5% du PIB pendant des années, nous serions jamais en mesure de rembourser. Je ne serais jamais devenu ministre si j’avais su qu’il ferait ce choix », conclut-il.
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