Un édito du New York Times sur la crise politique que traverse Emmanuel Macron, président de la France
En septembre dernier, Emmanuel Macron, nouveau président enthousiaste, avait déroulé de grands projets pour l’Union Européenne, dont le but était de donner un nouvel élan et une raison d’être à un bloc préoccupé par l’immigration, le populisme et la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne et ainsi respirer un nouvel air dans le leadership franco-allemand.
Et tout d’un coup, comme c’est souvent le cas dans l’Union des 28 nations, la réalité et les intérêts nationaux surgissent. Les élections allemandes célébrées l’automne dernier ont sérieusement affaibli Angela Merkel qui avait besoin de six mois pour former un gouvernement de coalition, un qui est plus que méfiant des changements au niveau de la zone euro.
Le mois dernier, les partis populistes et eurosceptiques ont pris le dessus lors des élections en Italie. Ces partis veulent abandonner les changements apportés sur la question des retraites et faire grossir la dette nationale italienne déjà très importante, ce qui a flanqué la frousse à l’Allemagne.
Après toute cette pagaille, la réforme proposée par Emmanuel Macron a été détruite, pour ne pas dire qu’elle est « morte et enterrée », tel que l’a expliqué le journal allemand Der Spiegel avant la visite de Macron en Allemagne ce jeudi. Ses initiatives européennes ont été carrément diluées à l’instar du petit verre de vin rouge que les parents français donnent à leurs enfants. Et pour les fans de l’Europe, cela va mal.
La fenêtre des changements cruciaux se referme très vite avant même les élections du Parlement européen de l’année prochaine et les choix d’une nouvelle Commission Européenne, d’un nouveau président de la Commission Européenne et du patron de la Banque Centrale Européenne. Les projets et les lois non approuvés d’ici juin ou au plus tard en octobre tomberont à l’eau jusqu’en 2020.
Comme disait Jacob Funk Kirkegaard, éminent chercheur à l’Institut d’Economie Internationale de Peterson, ce serait une honte de rater cette chance. « Il est urgent, une fenêtre d’opportunités d’ici les élections européennes existe, mais elle se referme. La constellation du plus centriste chancelier de l’Allemagne qui se rapproche de la fin de son mandat et qui cherche à laisser un legs et un président français, élu sur un programme européen hautement ambitieux, est très étrange », disait-il. Et d’ajouter : « si vous pensez qu’une réforme de l’Europe peut se produire en dehors d’une crise, vous n’aurez jamais une meilleure constellation que maintenant ».
Selon Macron, si le populisme et le nationalisme ont gagné du terrain comme conséquence de la crise financière, la meilleure réponse à apporter est une Union Européenne plus intégrée qui protège tous ses citoyens et qui leur apporte des bénéfices ainsi qu’une zone euro plus durable dotée de son budget, des garanties financières et d’une gestion financière.
Cependant, la résistance à la vision de Macron d’une Europe plus présente gagne du terrain en Allemagne et au-delà. L’idée d’une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union dans une année a incité les plus petits pays du Nord de l’Europe, très conservateurs, à s’opposer fermement aux projets de Macron.
D’ailleurs, l’économiste français et ancien conseiller de Macron disait : « ça devient de plus en plus dur politiquement et de plus en plus dur en termes d’élan. Non seulement pour les pays qui n’en veulent pas, mais pour l’Allemagne aussi ».
En Allemagne, de nouveaux ministres n’arrivent pas encore à comprendre leurs fonctions, le parti de Merkel, le parti Chrétien-Démocrate, vire à droite et les Sociaux Démocrates, le parti centre-gauche dans la coalition, ont muselé l’une de leurs plus célèbres voix en faveur de l’Europe.
Les députés du parti Chrétien-Démocrate n’ont cessé de poser la question d’une révision financière vers un changement de traité, ce qui, en retour, nécessite l’approbation de tous les parlementaires. Une situation qui a créé plus d’incertitude et engendré des retards.
En marge d’une conférence de presse avec Macron ce jeudi à Berlin, Madame Merkel a promis à celui-ci des compromis sur la manière de renforcer l’euro et les banques européennes. « Il y a bien sûr toujours plusieurs points de départ concernant les avis de l’Allemagne et de la France. Nous avons besoin de débats ouverts et enfin nous avons besoin de trouver des compromis », a déclaré Angela Merkel. Mais, le compromis veut dire changements insignifiants et bien sûr imposés par l’Allemagne.
Lors du Forum Ambrosetti qui s’est tenu en Italie, Enrico Letta, ex premier ministre italien disait : « le bordel politique en Italie sera un alibi pour l’Allemagne et une mauvaise nouvelle pour Macron. Nous sommes en train de perdre de l’élan ».
Nouria Roubini, économiste qui avait prédit il y a dix le crash (de l’Europe, ndlr) a souligné que les problèmes fondamentaux de l’euro « ne seront résolus que lorsque l’Europe se dotera d’une vraie union fiscale et ensuite une union politique ». Il ajoutera : « mais pour l’instant, tout est au point mort et les Allemands verront les risques engendrés par l’Italie comme une raison de plus de ne pas avancer ».
Les Allemands sont plus que jamais inquiets que le « partage des risques ne se propage et que l’union fiscale ne devienne une union de transfert ». Selon lui, l’Allemagne hésitera jusqu’à ce que les pays de la zone euro tels que la France, la Grèce, l’Italie et le Portugal aient fait assez en termes de politique d’austérité afin que la dette publique soit durable et qu’ils fassent suffisamment de réformes pour que leur croissance se rapproche de celle de l’Allemagne.
Roubini affirme au même moment que Macron a mené quelques réformes importantes en France, en augmentant la flexibilité du marché, en faisant payer plus d’impôts aux retraités et en coupant le déficit budgétaire. « Donc, il peut dire aux Allemands : ‘je ne parle pas dans le vide et alors que vous n’accepteriez pas toutes les réformes, nous pouvons tout de même nous rencontrer à mi-chemin », martèle Roubiani.
Les propositions de Macron, à savoir un ministre des finances pour la zone euro et un budget pour aider les pays à faire face au taux de chômage galopant et aux chocs économiques, ont été mises de côtés par le bloc qui tente de mener des réformes moins spectaculaires et plus technocrates.
Selon Valdis Dombrovskis, commissaire en charge de l’euro et de la stabilité financière, le timing a poussé la Commission Européenne à limiter ses perspectives. « Nous devons renforcer la résistance de l’économie de la zone euro et ses outils qui lui permettent de faire face aux chocs », avait-il déclaré lors d’une interview.
Selon lui, cela veut dire se focaliser sur la promotion de réformes structurelles au sein des Etats membres, mettre en place une union bancaire et transformer le Mécanisme de Stabilité Européenne, créé durant la crise de la dette grecque, en un Fond Européen plus performant.
L’idée étant de protéger les pays de la zone euro ainsi que leurs banques d’une prochaine crise. Mais, il y a des préoccupations sur la gouvernance de ce fond, sur le montant qui sera injecté dans ce fond et sur la manière dont les non membres de la zone euro y contribueront.
Il y a aussi des inquiétudes sur le montant des mauvais prêts encore détenus par des pays tels que le Chypre, la Grèce, l’Italie et le Portugal ainsi que la dette souveraine qu’ils détiennent, étant donné la leçon sur la crise de l’euro qui nous a appris que les bons souverains sont à peine exempts de risques. Toujours selon Dombrovskis, l’Allemagne et les pays du Nord font pression pour plus de réduction des risques et le partage (de ces mêmes risques).
Ceci veut dire qu’un autre changement crucial dont l’objectif est de rassurer les citoyens (une assurance-dépôt pour le système bancaire européen comme c’est le cas des Etats-Unis) pourrait être effectué très bientôt. Toutefois, M. Dombrovskis a expliqué qu’il espérait voir un progrès graduel, une augmentation des liquidités financières avant la mutualisation des dettes, ce qui demeure une ligne rouge pour l’Allemagne.
« Nous devons avancer durant ce mandat. Nous devons tomber d’accord que nous ne perdrons pas une autre année », dit-il. Il a aussi ajouté qu’en raison de la montée du populisme, « nous avons besoin que les Européens sentent ces chiffres positifs de l’économie dans leurs portefeuilles, nous avons besoin de montrer aux gens qu’ils sont mieux protégés avec l’Europe ».
Mais, au fil du temps, les risques augmentent, avec le ralentissement de la croissance à moins terme, la question du Brexit qui reste non résolue, la confusion qui règne en Italie et une éventuelle guerre commerciale en perspective. C’est en tout cas, ce qu’a noté l’économiste Mujtaba Rahman, du groupe Eurasia. « Pour le moment, les marchés restent complaisants, mais cela ne durera pas éternellement », disait-il.
Le commissaire européen pour les emplois et la croissance, Jyrki Katainen, a fait savoir dans une interview que le « sujet principal reste la confiance entre les Etats membres, qui n’est pas aussi bonne qu’elle devrait être ». Plutôt qu’une révolution macronienne, il a appelé à une évolution et la mise en place d’une feuille de route pour les cinq ou dix prochaines années. « Une perspective à long terme aidera à la confiance, avec des décisions conditionnelles, afin qu’elle ne soit pas biaisée », ajoute-t-il.
Heidi Crebo-Rediker, premier chargé d’économie du Département d’Etat, a fait savoir qu’il voyait un processus lent. « C’est seulement en ayant confiance de tout ce qui tourne autour des systèmes bancaires, y compris en Italie, et un accord que les risques peuvent être gérés au niveau central, que l’on peut prendre la décision finale », expliquait-elle.
« Mais, quand on a la possibilité d’avancer en France et en Allemagne, alors apparaît une crainte en provenance du sud, de l’Italie. Ce qui fait que même le progrès lent est menacé », déplore-t-elle. Pour Monsieur Katainen, ex premier ministre finlandais, le progrès ne viendra que de Paris et de Berlin.
Il a dit ceci : « Macron et Merkel s’entendent très bien, se respectent et sont tous deux d’ambitieux pro-Européens. Tous deux veulent laisser des traces en Europe. Je vois Macron comme étant un pragmatique qui déroule ses priorités pour l’avenir, mais cela ne veut pas dire que chaque détail doit être appliqué »
Edito signé Steven Erlanger, journaliste et analyste politique pour The New York Times
Edito intégralement traduit de l’anglais au français pa Cheikh DIENG, fondateur et rédacteuren chef du média Lecourrier-du-soir.com
Pour lire l’édito de sa version originale, cliquez ici : New York Times