Crise en Casamance : la dangereuse stratégie du Sénégal de vouloir à tout prix militariser le conflit

Le conflit casamançais risque de transformer le Sud du Sénégal en une poudrière. Il y a moins d’une semaine, une attaque barbare avait été perpétrée dans le village de Niaguis, région de Ziguinchor. L’attaque avait fait 13 morts et 9 blessés, précise-t-on du côté du Sénégal. Depuis lors, aucune preuve tangible que le MFDC est derrière cet acte. Certains spécialistes parlent d’un règlement de compte entre coupeurs de bois.

L’affaire avait suscité l’indignation des Sénégalais touchés dans leur chair. Le président Macky Sall, en sa qualité de Chef d’Etat, avait immédiatement convoqué le Conseil National de Sécurité au Palais. Événement exceptionnel, mesure exceptionnelle. Il fallait évidemment répondre à l’urgence pour apaiser une population qui n’en peut plus de plus de trente ans de violence dans cette partie du Sénégal.

Depuis ce samedi 6 janvier, les autorités sénégalaises ont mis les bouchées double pour enrayer le mal, vaille que vaille. Pour ce faire, le soutien de l’armée, dans de pareilles circonstances, est d’une importance primordiale. Pour traquer les criminels, celle-ci (l’armée) a d’ailleurs l’intention d’entrer en Guinée-Bissau, pays souverain, frontalier avec le Sénégal et jusqu’ici considéré comme le bastion des rebelles du MFDC.

En effet, dans la presse sénégalaise, on nous apprend que les criminels qui ont lâchement tué les coupeurs de bois dans le village de Borofaye ce samedi se seraient retranchés en Guinée-Bissau. Dans la presse sénégalaise, on tente de calmer les ardeurs en rassurant la population que l’armée sénégalaise a bien le droit de faire irruption en terre guinéenne en vertu d’un accord signé entre les deux pays en 1995.

Là n’est pas la question. S’il est vrai que les auteurs se sont retranchés dans un pays frontalier, qui plus est, est un voisin, il est tout à fait responsable que les deux gouvernements se mobilisent pour les traquer et les traduire en justice. Il y va de l’intérêt des deux pays, évidemment.

Toutefois, je me réjouis d’avoir constaté que la plupart des analystes pointus sur la question soient arrivés à la même conclusion. J’avais en effet pointé du doigt, au lendemain de cette atrocité, les véritables raisons qui, selon moi, sont à l’origine de cette tuerie : la dégradation de l’environnement en Casamance, une terre de plus en plus exploitée par des multinationales occidentales au grand dam de la population locale.

Aujourd’hui, nous sommes presque tous informés de la présence de la multinationale sino-australienne, Carnegie et Astron Ltd en Casamance avec l’objectif principal d’exploiter le minerai zircon à Niafrang. Le coût de l’exploitation est estimé à quelque 8 millions de dollars. La population locale n’a cessé de manifester son rejet total à ce projet. Mais pendant ce temps, les gouvernements sénégalais préfèrent regarder ailleurs.

Qu’on le veuille ou pas, le problème de la Casamance ne se règle pas par les armes. Les gouvernements sénégalais de ces dix dernières années doivent assumer leur échec à rétablir l’ordre après avoir activement contribué à la dégradation de l’environnement dans cette partie du pays.

D’ailleurs, je tiens à rappeler qu’en 2016, Ali Haidar, ex ministre de l’environnement, avait tiré la sonnette d’alarme sur le trafic de bois en Casamance. « Si rien n’est fait d’ici deux ans, la région naturelle de la Casamance risque de devenir un désert », s’indignait l’ex ministre qui avait révélé que le Sénégal avait perdu un million d’arbres alors que la Gambie venait d’empocher quelque 140 millions de FCFA (213 millions d’euros) de ce trafic.

Depuis lors, je ne pense pas que les gouvernements du Sénégal aient fait suffisamment d’efforts pour mettre un terme à cette situation. Ils se contentent plutôt de se vanter des prouesses militaires quand nos vaillants soldats, envoyés au front, parviennent à mettre en déroute une rébellion armée qui, il faut le dire, ne fait plus peur.

Autoriser l’armée sénégalaise à entrer sur le territoire guinéen ne fera qu’envenimer une situation déjà délétère. Le Sénégal a l’obligation après les événements tragiques qui viennent de se produire de répondre aux doléances de la population casamançaise qui se sent de plus en plus marginalisée dans sa lutte pour la protection de l’environnement.

Rappelons que toute la région du Sud du pays risque de s’embraser car au moment où j’écris ces quelques lignes un média casamançais indépendantiste (dont je ne citerai le nom) nous apprend que 486 volontaires gambiens (d’anciens combattants et policiers) seraient « prêts à mourir » pour défendre la Casamance. La situation est alors très grave.

La mauvaise gestion du dossier casamançais par les différents gouvernements sénégalais ainsi que leur échec à écouter les doléances d’une population à bout ont fini par attiser une haine contre le Sénégal, favorisant ainsi un sentiment indépendantiste de plus en plus important dans cette partie du pays. L’envoi de soldats ne résoudra pas le conflit. Sauf changement de politique, nous risquons d’assister au pire.

Edito signé : Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’infirmation www.lecourrier-du-soir.com

Email : cheikhdieng05@gmail.com