France : à 6 mois de la présidentielle, Edouard Philippe prévient Macron : « votre réélection n’est pas acquise »

Dans une interview accordée au Journal Du Dimanche (JDD) ce 10 octobre, l’ex Premier ministre, Edouard Philippe, qui a officialisé la naissance de son parti politique « Horizons », prévient Emmanuel Macron que sa réélection pas acquise 

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Excellente lecture

Pourquoi avoir voulu fonder un parti politique?
Je veux participer à la constitution d’une nouvelle offre politique. Je dis bien : « participer », je ne prétends pas être seul. Le choix audacieux du président de la République, en 2017, d’engager une recomposition n’a pas fini de produire ses effets. Mon objectif est d’abord, je le redis clairement, de soutenir Emmanuel Macron pour contribuer à sa réélection, qui n’est pas acquise. Le Président aura besoin de s’appuyer sur un socle de stabilité pour poursuivre l’effort de transformation de la France. Et je veux aussi l’aider à élargir sa base, car aucun président n’a été réélu sur un rétrécissement.

Tous les adhérents de votre mouvement devront donc s’engager à soutenir Emmanuel Macron?
Je n’aime pas les pressions. Je ne mets un pistolet sur la tempe de personne. Mais tout le monde a compris où je suis, ce que je ferai.

Certains élus ont-ils subi, eux, des pressions pour ne pas vous rejoindre?
Je ne peux pas le croire.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que votre parti servira davantage vos intérêts que ceux d’Emmanuel Macron?
Je n’ai pas vocation à commenter les chicayas et angoisses des entourages. Le monde politique est trop souvent plein de fébrilité ; je préfère la sérénité.

L’horizon est par nature impalpable et hors d’atteinte : n’est-ce pas curieux d’avoir choisi ce mot pour baptiser votre parti?
On voit que vous n’êtes pas marins! L’horizon, c’est la liberté, c’est la vie. L’horizon, c’est comme un cap, on ne l’atteint jamais, mais on en a besoin pour naviguer. Horizons doit nous servir à voir loin, à nous détacher du marigot politicien et à bâtir la France de demain. La vie politique française est trop souvent autocentrée, obsédée par l’actualité et les polémiques du jour. Notre parti vise à rompre avec cette tendance qui lasse les Français.

Une soixantaine de parlementaires étaient présents samedi au Havre, ainsi que de nombreux élus locaux. Allez-vous lancer une campagne d’adhésion auprès des élus et des Français pour aller au-delà?
Evidemment. Je lance un parti, pas un club.

La « charte des valeurs » de votre parti prône la libre entreprise, l’ordre, l’ambition écologique, la laïcité et le projet européen ; elle dénonce les extrêmes, l’immobilisme et la décroissance. N’est-ce pas du « en même temps » format XXL?
Si un grand nombre se reconnaît dans nos valeurs, tant mieux! Car ce qui m’importe, c’est le dépassement des vieux clivages. Les anciens partis – de droite et de gauche – sont traversés par trop d’incertitudes sur la conception de l’Etat, l’identité, la gestion des deniers publics. La réflexion que je veux conduire, avec ce parti, vise à définir une stratégie pour raffermir la puissance de la France et garantir sa prospérité à l’horizon 2030 et au-delà. La décision politique est trop souvent dictée par l’urgence et les postures. Face aux vertiges démographique, climatique et géopolitique que nous ressentons, la seule solution est de regarder au loin.

Proposer des perspectives de long terme, n’est-ce pas le rôle du haut-commissaire au Plan, François Bayrou?
Penser la France de l’avenir, c’est très difficile. Si beaucoup de gens intelligents y travaillent, c’est encore mieux. Une bonne stratégie se construit à plusieurs.

Au point 16 de votre charte, vous fustigez « l’illusion de l’argent public magique » qui conduit l’Etat « à redistribuer une richesse qu’il n’a pas ». C’est le cas aujourd’hui?
Non. Il faut distinguer notre addiction à la dépense publique depuis quarante ans et le soutien massif à l’activité qui a été mis en place depuis deux ans pour résister à la crise sanitaire. Nous avons considéré que le choc des trois confinements imposait des aides exceptionnelles, pour que le pays puisse repartir dès que l’étau se desserrerait – je l’assume. Maintenant que le rebond est là, on mesure que nous avons mille fois bien fait. Mais ce soutien ne peut pas s’éterniser, il faut remettre de l’ordre dans nos comptes. Car un pays qui ne sait pas équilibrer ses finances publiques est « un pays qui s’abandonne » comme disait Mendès France. Notre dette nous fragilise. Regardez l’Allemagne : elle a su, depuis quinze ans, mener des réformes dures pour sauver son industrie, transformer son système éducatif, assainir ses finances. C’est pourquoi elle est capable d’investir. Or la France aussi aurait besoin d’investir…

Quelles « réformes dures » proposez-vous?
Comme je ne suis candidat à rien en 2022, je veux engager mon parti dans une réflexion stratégique nouvelle. J’aurai l’occasion de faire des propositions, croyez-moi. Mais l’heure n’est pas encore venue.

Vous avez tout de même évoqué – dans l’hebdomadaire Challenges – votre préférence pour rétablir nos comptes, c’est-à-dire une réforme des retraites qui repousse l’âge de départ jusqu’à 67 ans. Ce sera l’une de vos propositions?
Je ne veux pas de mauvais procès. Je veux bien qu’on me dise que 67 ans, c’est trop dur. Mais c’est déjà ce qui se fait souvent, et pour les plus fragiles. Et lorsque nous avons proposé l’âge pivot, c’est justement pour corriger cette injustice! Notre système est fondé sur la solidarité : ceux qui travaillent paient pour ceux qui sont à la retraite. Mais il y a de moins en moins d’actifs et de plus en plus de retraités! Si l’on ne veut pas baisser les pensions ni augmenter les cotisations, la seule solution est de travailler progressivement plus longtemps. La question des retraites mérite un grand débat : l’élection présidentielle doit permettre de le trancher.

Vous préconisez aussi la réduction des effectifs de la fonction publique. C’est un vieux serpent de mer ; comment y arriveriez-vous?
En un peu plus de vingt ans, la population française a augmenté de 11%, le nombre d’agents publics de 17%. Il est temps de nous interroger sur l’organisation des services publics, sur ce qui doit relever de l’Etat et de lui seul. Notre Etat est trop lourd pour être agile. Il doit être plus efficace dans un périmètre resserré aux fonctions régaliennes. La justice est aujourd’hui le maillon fragile de notre Etat. Nous devons donc faire des choix : alléger parfois pour renforcer ailleurs. Il faut recruter plus de magistrats et mieux les former. Le gouvernement a commencé. Il faut aller plus loin.

Comment définissez-vous votre parti : est-il de droite, conservateur, libéral, centriste?
Je sais d’où je viens, mais c’est moins important que de savoir où je suis et où je vais. Je ne cherche pas à coller des étiquettes mais à rassembler, parce que tout ce qui s’est fait de grand en France s’est fait par le rassemblement. Mon mouvement n’est pas un parti de notables. Mais je veux donner une place particulière aux maires, dont la voix n’est pas assez entendue dans le débat national. Une assemblée de maires élira le vice-président du parti et ils auront une responsabilité particulière dans l’élaboration de notre stratégie et de nos propositions, car les maires ont l’expérience et la vision de long terme dans leur ville…

Mais les maires ont aussi une responsabilité dans l’augmentation du nombre de fonctionnaires que vous déplorez! Vous relevez vous-même que c’est dans la fonction publique territoriale que les effectifs ont le plus augmenté…
Ce n’est pas faux mais les maires ont conscience de leur responsabilité. Il faut leur donner les moyens et la motivation de trouver la solution à cette question.

Vos idées doivent-elles nourrir le futur programme présidentiel d’Emmanuel Macron?
Le programme, c’est l’affaire personnelle du candidat, c’est lui qui s’engage. Personne ne peut dicter à un candidat ses propositions. Mais oui, nos idées ont vocation à alimenter le débat.

Quel est l’état de votre relation avec lui?
Quand j’étais Premier ministre, j’ai toujours dit qu’elle était d’une grande fluidité et d’une grande confiance. Je n’ai pas changé d’avis sur le Président.

Et lui, a-t-il changé d’avis sur vous?
Posez-lui la question.

Votre parti présentera-t-il des candidats aux législatives de 2022?
Un parti, ça doit penser, former, travailler. Et le moment venu, présenter des candidats aux élections. Nous allons commencer par le commencement.

Serez-vous candidat?
Je vous l’ai dit : je ne suis candidat à rien pour 2022. Je suis maire du Havre, c’est le plus beau des mandats.

Eric Zemmour se définit comme le « candidat du RPR ». Etes-vous d’accord?
Je ne me retrouve pas du tout dans la droite qu’il prétend incarner, pas plus que je ne reconnais dans ses propos le RPR de Jacques Chirac et d’Alain Juppé ni l’UMP de Nicolas Sarkozy.

Le secret de la confession est-il « plus fort que les lois de la République », comme l’a soutenu le président de la conférence des évêques après le rapport de la commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Eglise?
Il s’est sans doute exprimé en ecclésiastique, non en juriste. En réalité, la loi organise certains secrets (médical, professionnel) et prévoit que les atteintes criminelles sur les enfants n’en relèvent pas. L’ampleur de ce qui est décrit dans le rapport Sauvé va déclencher une onde de choc, de réflexion, de ressaisissement de l’Eglise. Certains n’en ont manifestement pas encore pris conscience.

Vous êtes visé par une enquête de la Cour de justice de la République dans laquelle Agnès Buzyn, votre ministre de la Santé, a été mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Comment réagissez-vous face à ces mises en cause pénales alors que l’épidémie est toujours en cours?
Je ne sais rien de la procédure que vous évoquez. Je n’ai été informé d’aucun des motifs pour lesquels elle a été engagée, on ne m’a adressé aucun document officiel – même si mon bureau et mon domicile ont été perquisitionnés. Sur le principe, je trouve normal que mon action, comme Premier ministre, soit contrôlée. J’ai d’ailleurs répondu aux questions de l’Assemblée nationale et du Sénat, même après avoir quitté Matignon. Si des magistrats pensent que la responsabilité pénale des membres du gouvernement peut être engagée, je répondrai ; j’expliquerai mes choix, au regard des informations dont nous disposions. Je n’ai pas l’habitude de me défausser de mes responsabilités.