La Mecque, dirigée par l’Arabie Saoudite, devrait appartenir à tous les musulmans (Marwan Osman)

(Analyse de Marwane Osman)

Est-ce juste que les lieux saints de l’Islam, la Mecque et l’Arabie Saoudite, soient contrôlés par l’Arabie Saoudite, alors que ce royaume riche les utilise souvent comme un instrument politique pour accroître son influence déjà très importante dans le monde musulman ? Peut-être, c’est le temps de trouver une solution à ce dilemme de voir les lieux saints de l’Islam être contrôlés par une petite fraction de musulmans.

A bien des égards, la monarchie saoudienne (connue pour ses violations des droits de l’homme et son soutien à l’extrémisme) souille la réputation de l’Islam. Cependant, la Maison Al-Saoud contrôle la Mecque, la direction de la prière musulmane et le lieu de pèlerinage des musulmans et Médine, où le Prophète (PSL) a érigé la première société musulmane, où il a trouvé la mort et où il a été enterré.

Chaque année, des millions de musulmans descendent à la Mecque pour faire le tour de la Kaaba, ce sanctuaire cubique qui serait construit par Abraham pour honorer DIEU et qui serait restauré par le Prophète (PSL) pour en faire un lieu d’adoration.  L’Arabie a souvent politisé le lieu saint de la Mecque. Donc, il est crucial de trouver une solution immédiate.

Cette politisation a d’ailleurs poussé le royaume saoudien à refuser de livrer des visas à des pays et à les menacer s’ils ne partagent pas ses points de vue au niveau régional. Le royaume saoudien est accusé de menacer les pays africains qui ont refusé de soutenir le blocus qu’il a imposé au Qatar, allant jusqu’à vouloir recourir à la contrainte et au chantage.

L’Iran a aussi accusé l’Arabie Saoudite de « faire barrage sur la route qui mène vers ALLAH » en 2016 lorsque Téhéran avait annoncé que ses pèlerins n’effectueraient pas le Hajj à la Mecque. Cette querelle (entre l’Iran et l’Arabie Saoudite) était une conséquence de la bousculade de 2015 qui avait fait plus de 2 300 morts, dont 464 Iraniens. Cette situation avait poussé Téhéran à accuser le royaume saoudien d’être incapable d’assurer la sécurité du Hajj ou de ne pas vouloir s’y atteler.

La Syrie a également une part dans cette politisation des lieux saints de l’Islam. Cette semaine, le gouvernement syrien a en effet accusé l’Arabie Saoudite de restreindre l’arrivée de musulmans syriens dans le royaume, une politique mise en place en 2012 contre des citoyens syriens qui cherchent à prendre part au pèlerinage annuel.

Du temps de son vivant, le Colonel Kadhafi, ancien président de la Libye, avait appelé à la Fondation d’un « Vatican Islamique » à la Mecque et à Médine, afin que les terres saintes de l’Islam à Hedjaz soient mises sous la tutelle d’un organe islamique qui devient le superviseur et le prédicateur des lieux saints.

Ce n’était pas la première fois que ce leader (Kadhafi) avançait une telle proposition. A chaque fois que ses relations avec la famille Al-Saoud devenaient tendues, Kadhafi remettait cette proposition sur la table. Il avait vu que le régime saoudien n’avait pas la légitimité d’être le seul Gardien des deux saintes Mosquées car le royaume saoudien était fidèle à l’Occident et à l’impérialisme américain.

La première proposition avait aussi été faite par l’Ayatollah Khomeyni après la révolution iranienne et lors de la Guerre du Golfe qu’il avait combattu contre les forces de Saddam Hussein pendant huit années. Entre la volonté de l’ex dirigeant libyen et celle de l’Imam Khomeyni de mettre en place un projet qui ressemblerait à un « Vatican Islamique », beaucoup de questions ont été soulevées et l’une des plus importantes est celle-ci : l’Arabie Saoudite est-elle légitime pour assurer elle-seule la garde des lieux saints de la Mecque et de Médine ?

Dans un contexte d’état-nation moderne, la centralité de la Mecque pour tous les musulmans  avait provoqué un grand problème. Cela veut dire que les musulmans le veuillent ou pas, la Maison Al-Saoud est aujourd’hui le probable leader de l’Islam. Pourquoi ? Parce qu’ils ont le pouvoir sur la Mecque.

Par respect, les musulmans du monde ne peuvent pas contester la Maison des Saoud, car ils se sont autoproclamés « Gardiens des deux mosquées ». La grande majorité des pays musulmans admettent simplement que la Maison des Saoud est leur probable leader pour éviter de tomber dans des restrictions de visas ou pire devenir un ennemi du royaume, comme le Qatar aujourd’hui.

Le grand respect envers la Mecque donne à la famille Saoud la légitimité religieuse dans le monde musulman si bien que tout ce qui vient de l’Arabie Saoudite est considéré comme la plus authentique expression de l’Islam, même s’il est évident que les enseignements de l’Islam Wahhabite sont anti-Islam et encouragent l’extrémisme islamique.

Ce n’est pas le pétrole saoudien qui vend l’idéologie wahhabite. C’est le poids de la Mecque qui lui donne sa gravité. Récemment, il y a eu des appels pour libérer la Mecque de l’emprise de la Maison des Saoud. Arrachez la Mecque de la main de la Maison Saoud et la théorie de la régression va suivre.

Beaucoup de ceux qui s’opposent à la tutelle saoudienne considèrent l’Arabie Saoudite comme une conséquence directe de la stratégie britannique de fracture coloniale et une dépendance envers les forces musulmanes pour promouvoir les intérêts des impérialistes. La fracture coloniale a atteint son apogée au Moyen-Orient pendant et après la Première Guerre Mondiale.

Elle est basée sur une lutte sectaire qui a ouvertement divisé les musulmans  et a transformé leurs vies en enfer à travers des mouvements extrémistes que la plupart de leurs dirigeants ou fondateurs ont étudiés en Arabie Saoudite à l’aide de livres wahhabites. Dans les années précédentes, Al Saoud est allé plus loin, en démantelant de manière illégale l’une de ses plus anciennes sections de la mosquée la plus importante de l’Islam financée à des milliards de dollars et qui avait suscité la grosse colère des musulmans.

Avant 1932, et la mise en place de ce qui est connu aujourd’hui comme le Royaume Saoudien, le territoire de Hedjaz était placé sous la direction des Chérifs et plus particulièrement Hussein le Chérif de la Mecque. Après la fin de l’Empire Ottoman, en mai 1919, le Bédouin Najdi Abdoul Aziz al Saoud (connu sous le nom de Ibn Saoud) a quitté le sud de l’Irak et le sud-est de ce qui est connu aujourd’hui comme la Jordanie pour la Mecque.

En 1924-25, Ibn Saoud et ses combattants wahhabites ont poussé Chérif Hussein Ibn-Ali, le père des frères Hachémites en Iran et à Transjordanie, à quitter les lieux saints de la Mecque. Son territoire s’est étendu. Les Britanniques ont alors répondu en menant une attaque au sol et une attaque aérienne en Transjordanie. Ibn Saoud s’est alors soumis à la décision britannique concernant les frontières.

Les Britanniques lui donnent un coup main dans le Hedjaz et dans le Nedj dans le cadre d’un accord secret signé entre la Grande-Bretagne et la France consistant à transformer le Moyen-Orient en leurs zones d’influence. L’accord est connu sous le nom de « Accord Sykes-Picot », du nom des ministres des Affaires étrangères des deux pays.

Malgré un grand soutien de l’Occident à la Maison Al-Saoud, beaucoup de musulmans affirment que la Mecque, bien que considérée comme une ville saoudienne, était et reste toujours un héritage islamique qui appartient à tous les musulmans. Dans les enseignements islamiques, aucun musulman n’a le droit de monopoliser la garde des deux lieux saint étant donné que le principe de la garde de l’état actuel de la fragmentation est inacceptable parce que la curatelle est considérée comme un droit pour tous les musulmans.

Pour présumer de la garde des deux mosquées saintes, on doit avoir l’accord de tous les musulmans. Le sujet ici réside dans l’absence d’un Califat islamique et d’un Commandant des Fidèles, la solution serait d’organiser un référendum parmi les musulmans  et à l’absence  d’un tel référendum, la garde des deux mosquées par l’Arabie Saoudite est perçue par certains comme un manque de légitimité.

L’Arabie Saoudite refuserait l’idée d’un référendum. Pour eux, tout appel à internationaliser la Mecque et Médine est une « déclaration de guerre ». La semaine dernière, le ministre saoudien des Affaires étrangères avait décrit cette demande du Qatar d’internationaliser les lieux saints de l’islam comme une manière de défier la Maison des Saoud, ce que le Qatar a nié.

Ce n’est simplement pas une querelle du Golfe. C’est une affaire islamique internationale. Pour les Saoudiens, les lieux sacrés sont des vaches sacrées et plutôt des vaches à fric. En plus des sommes énormes que les Saoudiens collectent lors des pèlerinages et le tourisme religieux, le contrôle de ces lieux donne à la monarchie saoudienne un prestige sans prix au sein du monde islamique.

Tout musulman dévoué doit essayer de faire le pèlerinage à la Mecque et à Médine en un moment donné de sa vie vu que le Hajj est l’un des cinq piliers de l’Islam. Tant que la Maison des Saoud aura le contrôle de ces lieux, ce sera considéré par tous les musulmans comme la détention des clefs de la porte d’ALLAH.

L’Arabie Saoudite dirige en ce moment la Mecque et Médine, mais ils appartiennent au monde musulman. C’est une sacralité collective. Ils ne devraient pas être une possession individuelle. L’Islam est une religion très égalitaire. L’Islam a très peu de hiérarchies et celles qui existent ne sont pas largement partagées. Alors pourquoi est-ce qu’un régime qui représente une petite portion des musulmans, exporte et renforce une idéologie qui, historiquement, s’oppose à la riche tradition de pluralisme, de spiritualité et cosmopolitisme de l’Islam, est autorisé à contrôler les lieux saints ? Pourquoi les musulmans n’ont-t-ils pas leur mot à dire ?

Une solution possible est une union des pays musulmans à mettre en place un mouvement qui utilisera des moyens légaux internationaux et la diplomatie pour faire de la Mecque et de Médine soit des Etats-nations indépendants (tel que le Vatican) ou faire en sorte que leur protection et leur prise en charge incombent à tous les musulmans.

En faisant de la Mecque un lieu non plus identifié par son appartenance ethnique, mais plutôt par sa religion, les musulmans pourront tous se concurrencer pour devenir de bons musulmans, au lieu de se concurrencer entre eux pour devenir les pions de la famille Al-Saoud. Transformer le système de la Mecque en une sorte de Vatican assurerait la non-politisation des lieux saints de l’Islam.

Toutefois, il y aurait un problème dans le fait d’internationaliser la Mecque. La Mecque resterait fonctionnellement dépendante de l’Arabie Saoudite qui aurait ainsi une Mecque internationalisée entourée et qui aurait de facto le contrôle sur qui entre à la Mecque et qu’est-ce qui entre ou sort de la Mecque. C’est-à-dire que les Saoudiens continueraient à mettre en place des politiques restrictives qui empêcheront que les musulmans entrent à la Mecque. Pour régler ce problème, la Mecque et Médine devraient devenir et rester une zone d’entrée sans visa pour tous les musulmans qui effectuent le pèlerinage.

Cette analyse est intégralement traduite de l’anglais au français par l’équipe du média Lecourrier-du-soir.com. L’analyse a été faite par Marwane Osman, chercheuse vivant à Beyrouth au Liban. Elle est maître de conférences à l’Université internationale du Liban et à l’Université de Mareef. Elle est aussi chroniqueuse politique sur les questions liées au Moyen-Orient dans de nombreux médias libanais et internationaux.

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Pour lire l’accord Sykes-Picot, cliquez ici: Sykes-Picot