Lecourrier-du-soir.com vous propose l’édito intégral du journaliste Leonid Bershidsky qui critique sévèrement la vision de Macron sur la sécurité européenne
« Dans une récente interview sans langue de bois accordée à The Economist, le président français, Emmanuel Macron, avait déroulé une vision d’une architecture sécuritaire européenne qui inclut plus de coopération avec la Russie et moins avec les Etats-Unis qu’aujourd’hui. Cette vision est courageuse mais comporte des défauts.
« A mon avis, ce à quoi nous assistons est la mort cérébrale de l’OTAN », annonçait Macron, en raison, selon lui, « d’un manque total de coopération entre les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN au moment de prendre des décisions stratégiques ». Selon lui, les Etats-Unis ne partagent pas les mêmes intérêts que ses alliés européens.
Sous le président Donald Trump, les Etats-Unis traitent le terrorisme islamique et les actions de la Russie en Ukraine comme des problèmes de l’Europe car ils se déroulent dans des zones proches de celle-ci, très loin des Etats-Unis. Tout ce que font les Etats-Unis est de fournir un parapluie de défense en échange d’un engagement exclusif d’acheter des produits américains.
« La France n’avait pas signé cela », a fait savoir Macron, émettant clairement des doutes sur les engagements de Trump en matière de sécurité mutuelle avec l’OTAN, tel que l’a énoncé l’Article 5 du Traité (de l’OTAN). Cette insécurité explique les efforts de Macron d’inclure plus de pays européens dans la coopération en matière de défens, ce qui, comme il l’a reconnu, n’apportera pas des résultats immédiats. Cela explique aussi sa réticence quand il s’agit d’adopter une « politique dure » contre Moscou.
La Russie, selon Macron, n’a aucune alternative à long-terme d’« un projet de partenariat » avec l’Europe et que donc les Européens doivent s’y engager et voir comment trouver des domaines sur lesquels il peut y avoir une coopération (par exemple en matière de lutte contre le terrorisme) et sur lesquels il serait préférable de commencer à nouer des relations en faisant baisser la tension (par exemple, la cyber-guerre).
Pour que cela se réalise, Macron voudrait discuter des garanties dont a besoin la Russie pour se sentir plus en sécurité et il est même ouvert à aborder la question d’« une garantie de la part de l’UE et de l’OTAN de ne plus avancer vers le territoire russe ». Cette vision du monde a une logique interne évidente, surtout lorsque les Etats-Unis ne se comportent pas comme un allié pleinement engagé : « nous avons le droit de ne pas être des ennemis directs des ennemis de nos amis ».
Le problème que pose cette logique est qu’elle a l’air d’être construite sur une vision à long-terme des options de la Russie et sur une vision à court-terme de celles des Etats-Unis. C’est ce qui met en danger l’agitation de Macron de créer un bloc de défense au niveau européen parallèle à l’OTAN.
Dans son interview, Macron a fait savoir à The Economist que la Russie fait face à un menu de seulement trois options stratégiques : essayer d’être une superpuissance jouissant de ses pleins droits, devenir le vassal de la Chine et « rétablir une politique d’équilibre avec l’Europe ».
Selon Macron, seule la troisième option est viable. Evidemment, Vladimir Poutine, président de la Russie, se sentirait très mal à l’aise que son pays devienne le petit partenaire de la Chine. Et la voie qui mène vers la superpuissance est difficile à emprunter car la population de plus en plus vieillissante de la Russie et le conservatisme identitaire très cher à Poutine empêche ce dernier d’avoir une politique migratoire. Donc, il ne lui reste que le rapprochement avec l’Europe.
C’est une erreur. Pour les starters, la Russie est un grand pays d’immigration. Ses données statistiques officielles sur les flux de population ne sont fiables en raison des politiques d’exemption de visas vis-à-vis des pays ex membres de l’Union Soviétique, mais elle est la sixième plus grande source d’entrées financières de migrants, derrière l’Allemagne et la France.
La construction idéologique de Poutine n’existe que pour l’amour de la propagande. Ses vraies politiques se focalisent sur la stratégique qui consiste à mener la Russie vers la superpuissance. Dans sa tête et dans celle de ses conseillers en politique étrangère, la Russie n’a pas d’autres options.
D’ailleurs, l’une des citations préférées du président russe (qu’il a utilisée de manière ostentatoire) est attribuée au Tsar Alexandre III : « la Russie n’a que deux alliés, son armée et sa marine ». Dans cet état d’esprit, Poutine est heureux de prendre toutes les concessions que l’Europe pourrait lui offrir, telle que l’intervention de Macron pour que l’on restitue à la Russie le vote au niveau du Conseil de l’Europe. Mais, ils ne feront pas abandonner ce que Macron appelle « son anti-projet européen » né de son conservatisme.
L’Europe n’est pas un allié potentiel pour la Russie. C’est un terrain de jeu dans ce qu’elle (la Russie) voit comme un grand match contre les Etats-Unis. Le grand projet de superpuissance de la Russie n’est pas forcément éternel et il est possible qu’un futur dirigeant russe considère la Russie comme un énorme projet européen, tel que Boris Yeltsin, prédécesseur de Poutine, l’avait fait pendant un certain temps après l’effondrement de l’URSS. Mais, attendre que cela se produise exige une vision à long-terme.
Avec les Etats-Unis, la situation est tout le contraire. Le projet isolationniste de Trump est aussi nouveau que sa présidence et aucun de ses rivaux réalistes du parti Démocrate pour la présidentielle de 2020 n’aimerait continuer sur cette lancée. Les Etats-Unis ont déjà un projet de coopération avec l’Europe qui existe depuis longtemps, qui a commencé avec le plan Marshall et le Berlin Airlift et n’est pas tout à fait terminé avec Trump, comme le confirment les très fortes relations commerciales entre l’EU et les Etats-Unis.
Il y a de forte chance que, si Trump quitte le pouvoir (que ce soit en 2020 ou dans quatre ans), les Etats-Unis essayent de recoller les morceaux et ce sera plus facile pour l’Europe d’accepter ses avances que d’établir un modèle de partenariat avec la Russie. Comme l’a dit Macron, cela devient de plus en plus dur d’immobiliser le projet de l’OTAN et les menaces auxquelles le bloc fait face.
Cependant, c’est une structure de travail qui a conduit de vraies opérations militaires et qui a pratiqué des exercices militaires conjoints. Macron juge « efficace » l’interopérabilité au sein de l’OTAN. Mettre en place une architecture de défense parallèle ne peut que mettre en danger ce mécanisme de travail », peu importe combien de fois Macron répètera que tout projet militaire européen lui sera complémentaire.
Vaut-il la peine faire cela à cause de ce que beaucoup voient comme une menace temporaire de Trump ? C’est la vraie question qui fait que les ambitions militaires européennes de Macron ne décollent pas. Plus de progrès décisifs ne seront possibles que si le comportement Trumpien devient la norme aux Etats-Unis et si la Russie devient tout d’un coup carrément pro-Européenne, renversant, par exemple, son actuelle politique vis-à-vis de l’Europe.
A l’entendre parler, Macron a l’air courageux, stratégique et même prophétique parfois, mais ses jugements géopolitiques ne sont pas indiscutables ni même universellement séduisants. Par-dessus tout, ils sont infondés. A ce stade, attendre semble plus intéressant que de développer fiévreusement un projet politique couteux et incertain.
Cela prendra beaucoup plus de temps que son éloquence pour faire du repositionnement géopolitique de l’Europe une réalité. »
Edito traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef du site d’information www.lecourrier-du-soir.com.
Pour lire l’édito dans sa version originale, cliquez ici : Bloomberg