« Les grandes idées de Macron seront abattues, une par une » : l’édito choc du Bloomberg, média américain

Deux semaines après l’édito du New York Times prédisant l’échec de Macron, c’est autour du média américain Bloombeg, spécialisé dans la finance, de prédire les difficultés auxquelles le président français sera confronté. D’après le très puissant média américain, les grandes idées d’Emmanuel Macron, notamment sur l’Europe, seront « abattues une par une « 

(Voici l’édito dans son intégralité entièrement traduit par Lecourrier-du-soir.com)

Tous les projets, saufs les plus doux et les moins importants, proposés par le président français font face à une opposition forte et bien définie

La pluie de réformes proposées par le président français Emmanuel Macron déclenchées ce mardi sur l’Europe sont arrivées de manière si brusque et si violente que les personnes qui ont écouté son discours n’ont pas eu le temps de se demander lesquelles étaient faisable ou même désirables. Cette question mérite à présent d’être posée, alors que les dirigeants politiques allemands s’apprêtent à discuter sur les idées de Macron en marge des pourparlers pour la coalition.

Les idées de Macron doivent être mises à l’épreuve contre les positions de quatre forces pouvant influencer le progrès. : la bureaucratie européenne, le système politique allemand, les nations renégates d’Europe de l’Est et les plus durs concurrents fiscaux dans l’Union Européenne que sont l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg et le Chypre. Presque chaque proposition importante de Macron va à l’encontre des intérêts d’un de ces groupes.

Bruxelles s’opposera légèrement aux propositions de Macron. Jean-Claude Junker a d’ailleurs loué le discours « très Européen » de Macron et son directeur de cabinet, Martin Selmayr, a même admirablement twitté le discours, appréciant particulièrement l’idée de Macron que les entreprises doivent payer des impôts là où elles gagnent de l’argent et non pas là où elles le choisissent. Peut-être la seule proposition de Macron à laquelle la commission européenne s’opposera est celle qui veut que la commission soit réduite de moitié, passant ainsi de 28 à 15  membres.

L’idée du président français d’harmoniser les  impôts des entreprises et les contributions sociales est vouée à l’échec, sauf, à quelques exceptions près. Il n’y a aucune raison pour que les petites nations qui ont font payer peu d’impôts réduisent leur propre compétitivité. Aucune de ces nations n’a adhéré à l’initiative française d’imposer des impôts, du moins temporairement, aux entreprises américaines jusqu’à ce qu’un cadre fiscale plus solide soit défini.

Macron avait suggéré d’entamer le projet d’harmonisation avec l’Allemagne. Peut-être que si une grande coalition de Chrétiens Démocrates et de Sociaux-Démocrates arrivaient au pouvoir ces quatre prochaines années, cela aurait été possible. Cependant, alors que les Sociaux-Démocrates sont résolus à l’opposition, la Chancelière Angela Merkel aurait plus tendance à intégrer dans son gouvernement les Verts et le Parti Libéral-Démocrate.

Macron n’aura pas de problème avec les Verts, dont le leader Cem Oezdemt, a exprimé son admiration au discours du président français à travers un twitte qu’il a ensuite traduit en français. Ce sont des fédéralistes européens très forts. Le Parti Libéral-Démocrate est le plus grand obstacle. Il soutient l’idée que chaque Etat européen doit déterminer sa politique économique et il s’oppose fermement à l’idée de Macron d’un budget commun dans la zone euro.

Le leader du Parti Libéral-Démocrate, Christian Lindner, a appelé à baisser le rythme du mécanisme de stabilité européenne d’où naîtra un budget commun européen. Il a aussi qualifié les transferts fiscaux de l’euro zone de « ligne rouge » lors des discussions de la coalition. Une déclaration qui aurait suscité la réaction de Macron qui dira dans son discours : « je n’ai pas de lignes rouges, je n’ai que des horizons ». Cette ligne risque de ne pas impression Lindner.

La priorité de Merkel en ce moment est de construire une majorité. Les accords de la coalition allemande sont des documents détaillés et il n’y a pas de retour en arrière. Chacun s’engage et un accord devrait être trouvé entre le Parti Libéral-Démocrate et les Verts sur l’intégration Européenne.

Néanmoins, Merkel, elle-même, n’est pas branchée aux idées de Macron. Les transferts fiscaux restent une patate chaude pour les électeurs du centre-droit et de l’extrême-droite en Allemagne et elle avait promis de les récupérer après en avoir perdu des millions lors des élections de ce dimanche. Merkel n’a pas trop d’espace politique pour Macron. Même si les pourparlers avec les Sociaux-Démocrates sont ressuscités, elle adoptera une posture très vigilante.

Le plus grand obstacle aux idées de Macron sera cependant les pays d’Europe de l’Est. Ils sont méfiants à l’idée d’une armée européenne commune, puisque l’OTAN n’est pas très fan de cette idée et que les nations de l’Est ont tellement misé sur la protection des Etats-Unis qu’elles ne souhaitent pas mettre cela en danger en acceptant une « force d’intervention » européenne.

Elles rejetteront fermement la création d’un office commun destiné à l’asile (des réfugiés) et l’idée de transmettre leurs frontières extérieures à une force commune européenne : les gouvernements nationalistes de la Pologne et de la Hongrie et le parti qui pourrait remporter l’élection à la République Tchèque s’opposent tous à une politique migratoire qui les obligerait à accepter plus de migrants. Ils sont aussi inquiets par rapport à leur souveraineté. Ils auront entendu les propos de Macron louant la commission de l’UE dans ses efforts de faire respecter l’Etat de droit. Le président français ne fait aucun effort à cacher son hostilité à tout ce à quoi ils (les pays de l’Est) aspirent.

Ces pays ne veulent pas non plus une taxe carbone sur les importations d’énergie car une hausse dans le prix de l’énergie serait plus durement sentie en Europe de l’Est que dans les riches nations européennes occidentales. Ils ne seraient pas favorables non plus à un salaire minimum forcé et à une convergence dans les contributions sociales, surtout si, tel que l’a suggéré Macron, cela serait lié aux allocations budgétaires européennes.

Et si une réforme sur la Politique Commune Agricole inquièterait les agriculteurs français, la Pologne est de loin le plus grand bénéficiaire et elle se battra bec et ongles pour maintenir ses avantages et éviter toute précondition politique pour recevoir l’argent. L’insistance de Macron sur chacune de ces proposions équivaut à la vieille idée d’ « une Europe à deux vitesses », dans laquelle les nations clé s’intégreront rapidement et laisseront les sceptiques à la périphérie. En fait, Macron a déclaré dans son discours que « ceux qui veulent aller plus loin et plus vite ont besoin de le faire librement ». C’est à ce niveau-là qu’il diverge avec Junker qui, lors de son discours à l’Union, avait remis en cause le modèle d’une Europe à deux vitesses.

De toutes ces idées qui ont émergé dans la corne d’abondance de Macron, seules les moins ambitieuses sont faisables. Il y aura probablement très peu d’opposition à l’aide au développement destinée à l’Afrique, à la création d’universités Européennes pour faciliter la mobilité estudiantine et une meilleure reconnaissance des diplômes. Les listes transfrontalières pour les élections parlementaires européennes ne feront pas peur non plus. Telles sont les cerises que tout pouvoir au sein de l’UE choisirait avec plaisir dans le gâteau multicouche de Macron.

Le président français ferait mieux de se focaliser sur quelques-unes de ses propositions impopulaires s’il veut vraiment surmonter les qu’elles engendrent, ou plutôt, travailler silencieusement avec les parties prenantes, comme cela se fait habituellement en Europe. Même chez lui, où il jouit d’un large pouvoir exécutif et d’une forte majorité législative, Macron a travaillé assidûment avec les syndicats et les employeurs avant de présenter au public sa réforme du code du travail.

En Europe, il a adopté une tactique différente pour une raison que je j’ignore, parce qu’il sait peut-être que l’opposition sera formidable et qu’il est plus important pour lui de déclarer où il en est que de la surmonter.

Edito signé : Leonid Bershidsky

L’édito a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com

Pour lire l’édito dans sa version originale, cliquez ici : Bloomberg

2 COMMENTS

  1. Une erreur de traduction s’est glissée à l’avant dernier paragraphe. Il n’est pas question d’actionnaires (shareholders) mais de parties prenantes (stakeholders).

    La phrase devient: « Le président français ferait mieux de se focaliser sur quelques-unes de ses propositions potentiellement impopulaires s’il veut vraiment surmonter les résistance qu’elles engendrent; ou encore mieux, travailler silencieusement avec le parties prenantes, comme on en a l’habitude en Europe. »