Organisation de la CAN 2019 : 50 ans après les indépendances, l’Afrique Noire encore humiliée

(Une analyse du journaliste, Cheikh DIENG)

Une autre défaite pour l’Afrique Noire. L’Egypte a été désignée pays hôte pour l’organisation de la 32ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations. L’annonce de cette décision a été faite ce mardi 08 janvier par Ahmad Ahmad, président de la Confédération africaine de football au terme d’une réunion du comité exécutif. Je ne m’attarderai sur les détails de cette annonce. Je préfère rester laconique et mener une analyse courte, précise mais froide de la situation des pays d’Afrique Noire.

Je tiens à rappeler que le premier pays désigné pour organiser cette coupe d’Afrique a été le Cameroun, l’une des plus grandes nations de foot sur le continent. Les performances réalisées par les « Lions Indomptables », comme on les surnomme, sont extraordinaires. Le pays a remporté 5 coupes d’Afrique, a obtenu une médaille d’or aux jeux olympiques de 2000. En 1990, le Cameroun se qualifie en quart de finale d’une coupe du monde de football.

Et pourtant ! Figurez-vous, cette grande nation de foot qui a fait rêver des millions de jeunes sur le continent n’a pas été capable d’organiser l’une des plus importantes compétitions sur le continent, si ce n’est la plus importante. Le pays est miné par une corruption qui ne dit pas son nom, un népotisme qui a gagné toutes les sphères du pouvoir. Et plus grave, il est dirigé par un homme qui est au pouvoir depuis 1982 et qui, en novembre 2018, a brigué un 7ème mandat.

Pourtant, (c’est l’ironie du sort), il règne en maître dans son pays. Quand vous posez à un Camerounais la question de savoir si tout va bien au Cameroun, il y a 90% de chance que la chance soit un « OUI ». Mais, la réalité est tout autre. Le pays a de sérieux problèmes d’infrastructures et malgré plus de 30 années à la tête du pays, Paul Biya, le président, n’arrive même pas à assurer la sécurité de ses citoyens. Je rappelle qu’une partie du pays est aujourd’hui entre les mains d’un groupuscule terroriste, appelé Boko Haram.

Pour revenir sur la question des infrastructures au Cameroun, voici ce que disait Ahmad Ahmad, président de la Confédération africaine sur son refus d’organiser la CAN dans ce pays : « le Cameroun a toujours de gros problèmes d’infrastructures, comme les déplacements et même les hôtels. (…) Je ne suis pas sûr que le Cameroun soit prêt à accueillir la CAN ».

Ma question : comment qualifier un chef d’Etat incapable d’organiser une coupe d’Afrique de football après 37 ans passés au pouvoir et après avoir brigué 7 mandats de président ? Je vous laisse trouver une réponse.

Autre nation de football en Afrique : le Nigeria. Ce pays est au même niveau que son voisin (Cameroun). Au Nigeria, pays très riche en pétrole (1,71 millions de barils de pétrole par jour en 2018), la corruption a pignon sur rue. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le pays est classé numéro 1 sur la liste des pays les plus corrompus au monde.

Aucun gouvernement n’a réussi à y mettre fin. Au contraire, voler les deniers publics dans ce pays est une banalité. La corruption a, au fil du temps, fortement fragilisé l’économie du Nigeria en provoquant une léthargie de toutes les institutions, du système éducatif, de l’armée et de la justice. Ce pays qui a remporté trois fois la Coupe d’Afrique des Nations a aussi été aux abonnés absents dans l’organisation de la CAN 2019.

Une autre nation de foot aurait pu pourtant sauver l’honneur de l’Afrique Noire. Je pense évidemment à la Côte d’Ivoire, le pays de Drogba, de Gervihno ou encore de Salomon Kalou. Malheureusement, ce pays qui a remporté deux coupes d’Afrique de football est dans la même situation que le Nigeria et le Cameroun. Il est plongé dans une grave crise financière et aussi politique, ce qui empêche d’y tenir un quelconque événement sportif.

Le quatrième et dernier pays est le Sénégal. Je pense à ce pays qui, contrairement à son voisin du Mali ou de la Mauritanie, reste encore un safe haven (lieu sûr) pour de nombreux bailleurs de fond. Malgré la présence de groupes terroristes au Mali voisin, l’Etat a déployé des moyens colossaux pour garantir la sécurité des citoyens mais aussi des étrangers, notamment les touristes.

En Août dernier, le président de ce pays, Macky Sall, avait inauguré Dakar Arena dont le coût est estimé à 98 milliards de F CFA (d’autres sources parlent de 66 milliards de FCFA). Dakar Arena est bâti sur une superficie totale de 3,6 hectares, il dispose d’une tribune d’une capacité de 15 000 places et d’un parking pour 1 000 voitures.

Le Sénégal qui avait créé une énorme surprise lors de la coupe du monde de 2002 en se qualifiant pour les quarts de finale est devenu incontestablement une Nation de football. Et pourtant, sur la liste des 5 pays qui avaient manifesté leur volonté d’organiser la CAN 2019, le pays de la Téranga n’y figure même pas et ce malgré la récente participation du pays à la coupe du monde 2018 en Russie.

Même constat ! A l’instar du Cameroun, du Nigeria ou de la Côte d’ivoire, le Sénégal est aussi dirigé par des politiciens plus soucieux de leur propre avenir que de celui du pays. Le pays va très mal, la jeunesse est désœuvrée et la dette publique augmente de manière exponentielle (6554,7 milliards fin 2018). Concrètement, il y a très peu d’infrastructures sportives dans le pays et mis à part Dakar Arena, la plupart des complexes sportifs sont vétustes et en très mauvais état.

Il ne restait à l’Afrique Noire que l’Afrique du Sud pour sauver l’honneur. Malheureusement, sa candidature a été écartée au profit de l’Egypte. Cela ne surprend pas quand on voit ce qu’est devenue l’Afrique du Sud vingt ans après la fin de l’apartheid. Le pays est entre les mains d’une classe moyenne noire corrompue. Le racisme et la discrimination fragilisent la cohésion sociale. La récente démission de l’ex président du pays Jacob Zuma (ce 14 février) impliqué dans des scandales de corruption est la confirmation que la nation arc-en-ciel est malade de ses dirigeants politiques.

Plus de 50 ans après les indépendances, voilà où nous en sommes. Nous avons crié sous tous les toits notre volonté d’indépendance (une décision que je salue d’ailleurs). Dans certains pays, notamment au Sénégal, cela a été suivi par d’âpres confrontations politiques (guerre Senghor vs Mamadou Dia).

Pourtant, 50 ans après les indépendances, nous sommes au même niveau : nos systèmes sanitaires sont paralysés, nos infrastructures sont obsolètes, nos systèmes éducatifs se sont effondrés et sur le plan sportif, à part les nations arabes, aucun de nos Etats africains noirs n’est capable d’organiser des compétitions dignes de ce nom sur le continent.

Ceci n’est autre que la conséquence de plusieurs décennies de laxisme, de népotisme au plus haut sommet de l’Etat et de corruption qui a tué à feu doux les institutions politiques et économiques de nos pays. Il va falloir une véritable introspection pour résoudre ces problèmes qui nous ridiculisent et qui font que les Occidentaux ne peuvent nous respecter.

Les Etats d’Afrique Noire doivent se mettre au travail pour l’amour des générations à venir. Cette situation ne peut plus continuer ainsi. Arrêtons le victimisme, cette stratégie du mauvais perdant qui consiste à endosser nos échecs sur le dos des Occidentaux. Le pillage de l’Afrique par la France, la Grande-Bretagne ou la Chine est une réalité. Mais, acceptons surtout le fait que nous ne travaillons pas assez. Et c’est exactement ce que l’organisation de cette CAN2019 vient de nous prouver.

Edito signé : Cheikh DIENG, journaliste et rédacteur en chef du site d’information www.lecourrier-du-soir.com, basé à Paris

Email : cheikhdieng05@gmail.com