Pass Sanitaire France : l’Etat a tranché : les employés suspendus ne toucheront plus l’allocation-chômage

Dans une interview accordée au JDD (Journal du Dimanche) et intégralement lue par Lecourrier-du-soir.com, la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Elisabeth Borne, a fait savoir que les salariés suspendus faute de Pass Sanitaire n’auront pas droit aux allocations-chômage

Lecourrier-du-soir.com vous propose l’interview dans son intégralité

Excellente lecture!

Comment réagissez-vous à la décision du Conseil constitutionnel sur le passe sanitaire?
Le Conseil a validé l’essentiel des dispositions de la loi que nous avions prévues, en particulier l’extension du passe sanitaire et l’obligation vaccinale pour des professionnels au contact de personnes malades ou fragiles. Cela va nous permettre de lutter contre l’épidémie de Covid-19 et de préserver notre dynamique économique et d’emploi : nous avons battu tous les records d’embauche en juin, l’activité partielle est au plus bas depuis septembre 2020 et les créations d’emploi au deuxième trimestre nous permettent de retrouver quasiment le niveau de l’emploi d’avant la crise.

A partir du 30 août, les employeurs des secteurs concernés par le passe sanitaire vont-ils être obligés de suspendre le contrat de travail de leurs salariés non vaccinés?
Nous voulons privilégier la pédagogie et faciliter avant tout la vaccination des salariés. Ceux-ci bénéficient d’une autorisation d’absence pour se faire vacciner sur leur temps de travail, avec maintien de la rémunération. Dans les secteurs concernés, si le salarié, qu’il soit en CDI, en CDD ou en intérim, ne se conforme pas à l’obligation de produire un passe sanitaire à compter du 30 août, un entretien est prévu avec son employeur pour trouver une solution. Il pourra notamment poser des jours de congé et de RTT ou se mettre en télétravail à 100% si son poste le permet. Avec son employeur, ils peuvent aussi convenir d’une affectation temporaire sur un poste qui n’est pas soumis au passe sanitaire. Ce n’est que si aucune de ces solutions n’est possible qu’il pourra y avoir une suspension du contrat de travail.

Le Conseil constitutionnel a en revanche retoqué la possibilité de rupture anticipée des CDD et des missions d’intérim de salariés non vaccinés…
La décision du Conseil constitutionnel est logique : une différence de traitement résidait dans le texte issu du compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat selon que l’on soit en CDI ou en CDD pour les salariés des secteurs concernés par le passe sanitaire. Le Conseil l’a notée et a donc supprimé cette disposition.

Suspendre un employé sans salaire, n’est pas une mesure punitive?
Nous voulons éviter de devoir refermer cinémas, musées, restaurants ou cafés, comme nous avions dû le faire lors des trois vagues précédentes. Notre logique est simple : après le 30 août, si vous travaillez dans un établissement soumis au passe sanitaire, vous devez avoir vous-même un passe sanitaire pour garantir qu’il n’y aura pas de risque de contamination dans ce lieu. Si vous ne pouvez pas le produire, vous ne pourrez pas y travailler. Je suis consciente que la suspension du contrat de travail et donc de la rémunération est difficile pour le salarié concerné, mais l’objectif est de lui donner du temps pour se conformer à son obligation, en évitant une sanction disciplinaire.

Aura-t-il droit aux allocations chômage?
Ce n’est pas une rupture du contrat, donc il n’aura pas droit aux allocations chômage.

Les employeurs pointent un risque de désorganisation du travail dans l’entreprise. Que leur répondez-vous?
Il faut qu’il y ait un dialogue et que le salarié éclaire son employeur sur ses intentions : lui indique-t-il spontanément qu’il va entrer dans un processus vaccinal, qu’il fera des tests jusqu’à ce que celui-ci soit achevé, ou, au contraire, qu’il refuse toute vaccination? La date fixée au 30 août permettra ces échanges et donnera le temps nécessaire à l’employeur pour s’organiser.

En cas de blocage, un employeur pourra-t-il recourir au licenciement?
Si un salarié décidait de ne jamais remplir son obligation vaccinale, alors on entrerait dans un processus de droit commun, avec possibilité de rupture du contrat de travail. Mais une écrasante majorité des Français est déjà vaccinée et beaucoup d’autres vont se faire vacciner rapidement. Je suis convaincue que ce sera la voie choisie par les salariés dans la plupart des cas.

Redoutez-vous une multiplication des contentieux devant les prud’hommes?
Nous serons évidemment vigilants, en lien avec les organisations patronales et syndicales. En cas de difficulté, nous reviendrons vers le Parlement pour encadrer davantage les choses.

Les salariés soumis au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale auront-ils accès en priorité à la vaccination?
Avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, nous avons écrit aux préfets de Région et aux agences régionales de santé pour leur demander de se rapprocher des représentants des employeurs et des salariés, et de regarder dans chaque territoire comment les salariés qui en ont besoin peuvent accéder rapidement à la vaccination. Nous pourrons ainsi flécher des doses de vaccin en conséquence, mobiliser la médecine du travail ou organiser des accès prioritaires en cas de difficulté.

Que risque l’employeur qui ferait travailler un salarié non vacciné et sans passe?
La loi prévoit une amende de 1.500 euros, qui peut passer à 9.000 euros si l’infraction se renouvelle trois fois dans une période de quarante-cinq jours. Il y a également des sanctions administratives qui peuvent aller jusqu’à la fermeture de l’établissement.

Qui effectuera les contrôles?
Dès lundi, le responsable de l’établissement doit contrôler le passe sanitaire de ses clients et, à partir du 30 août, de ses salariés. Dans les deux cas, il y aura une période de souplesse lors des contrôles, le temps que chacun s’organise. Ensuite, les forces de l’ordre s’assureront que ces contrôles sont bien effectués. Mais des restaurateurs ont déjà anticipé avec des contrôles « à blanc » des passes, pour être bien rodés le jour J. En pleine quatrième vague, c’est l’intérêt de tout le monde de ne pas avoir à refermer des établissements. Si on veut à la fois freiner l’épidémie et avoir la vie la plus normale possible, nous devons appliquer ces nouvelles règles.

Le passe sanitaire ne risque-t-il pas de freiner l’activité?
L’Italie et la Grèce mettent en place le même type de dispositif. La ville de New York va le faire. Les Allemands l’envisagent. Rien ne montre pour l’heure un ralentissement de l’activité de ces établissements. Avec Bruno Le Maire, nous avons de toute façon prévu de faire un point fin août avec les professionnels concernés pour évaluer la situation.

Entre manifestations anti-passe et préavis de grève (soignants, pompiers…), redoutez-vous une coalition des mécontentements?
Vous parlez de mécontentement, mais la plupart des salariés et des chefs d’entreprise que je croise ont conscience de l’effort massif qui a été déployé pour soutenir l’activité économique et protéger les emplois. Par ailleurs, 44 millions de Français, soit près de deux tiers de la population éligible, ont déjà reçu au moins une dose de vaccin : l’écrasante majorité des Français a fait le choix de la vaccination. Dans les manifestations de ces dernières semaines, il faut aussi distinguer ceux qui tiennent des propos scandaleux, qui se livrent même à la violence, et tous ceux qui doutent, simplement. Pour ceux-là, nous devons continuer à faire de la pédagogie et à rassurer sur le fait que nous avons des vaccins à la fois sûrs et efficaces. C’est ce qu’a fait le président de la République en répondant aux questions des internautes.

Que vous inspire la dénonciation d' »une dictature sanitaire »?
C’est irresponsable. Ces expressions sont l’apanage des extrêmes, qui font de la démagogie opportuniste. Cela nous confirme que l’intérêt des Français n’est pas leur priorité. De plus, les mesures ont été décidées démocratiquement : votées par le Parlement et validées par le Conseil Constitutionnel.

Quels sont vos dossiers de la rentrée?
Notre feuille de route est nourrie. Elle a été tracée par le président de la République dans son allocution du 12 juillet. Nous travaillons sur le revenu d’engagement pour les jeunes, une mesure massive pour les accompagner et faire en sorte qu’ils ne soient pas les victimes de la crise. On ne peut pas se satisfaire d’avoir un taux de 18-25 ans qui ne sont ni en formation ni en emploi quasiment le double de celui en Allemagne. A la demande du président de la République, je travaille aussi sur l’accompagnement et la formation des chômeurs de longue durée. Le conseil d’Etat ayant considéré que ce n’était pas le bon moment pour changer les règles de calcul de l’allocation chômage, il a suspendu cette mesure. Nous allons revenir vers le conseil d’Etat à la rentrée pour une mise en oeuvre complète de la réforme de l’assurance chômage au 1er octobre. Le président de la République nous a aussi demandé d’engager une concertation sur les retraites. Nous travaillons avec le Premier ministre sur l’organisation de cette concertation. Enfin, dans le cadre du plan d’investissement, il y aura un volet compétences.