Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire : le syndrome du 3ème mandat (Par Sidy Touré)

(Une analyse de Sidy Touré)

Tel un effet de mode, la limitation des mandats à la tête des pays africains a commencé à orner la constitution de nombreux pays africains. C’est là une marque des grands démocrates, le pouvoir n’est point pour l’éternité, au moins celui politique. Par conséquence les peuples ovationnent à chaque fois qu’un nouvel élu promet, par la charte fondamentale, de se retirer après une seule réélection.

Sénégal, Côte-d’Ivoire, Mali, Gambie, Guinée, Bénin, Togo, bref ils sont nombreux à garantir une « limitation des mandats présidentiels » pour se coller l’étiquette de démocratie mûre ou majeure. Mais comme le disait Montesquieu « Le pouvoir corrompt et il corrompt absolument ». Le reniement du serment présidentiel et la violation de la constitution sont devenus monnaie courante chez nos chefs d’État.

Abdoulaye Wade en 2011, à la suite de deux mandats combinés de douze ans (12 ans) sentait encore l’appétit du pouvoir malgré son âge et la barrière juridique ou légale qu’il a lui-même initiée, promue et matérialisée de ne point dépasser 2 mandats à la tête de son pays. « J’ai verrouillé la Constitution » avait-il dit mais il n’hésitera pas une seconde de botter tout, éthique comme lois, en touche pour briguer successivement une troisième fois la magistrature suprême.

Le peuple aura beau rouspéter contre la volonté du Président jusqu’à y laisser beaucoup de vies mais sa détermination et la complicité de la justice avaient eu raison sur le refus populaire. Le Conseil Constitutionnel, jouissant d’une protection et juridico-financière, n’ont pas trop peiné pour faire sauter le verrou constitutionnel de Wade selon ses propres termes.

La Guinée d’Alpha Condé et la Côte-d’Ivoire de Alassane Ouattara jouent la même musique. Monsieur Alpha Condé, qui porte merveilleusement ses 82 ans, ne s’est pas fatigué pour se dédire. Avec ses biceps de politicien rompu, il passe un référendum lui laissant libre court pour autant de mandats qu’il voudra! Le peuple guinéen avale la pilule amère du troisième mandat dont il a déjà payé un énorme tribut pour faire respecter sa loi. Condé va certainement rempiler pour un nouveau mandat faisant fi de la loi et la morale qui régissent les actes de tous surtout les dirigeants qui doivent servir de références.

En Côte d’ivoire, un événement douloureux, la mort de Gon Coulibaly, cheval de Troie du parti au pouvoir, a fait trébucher l’homme dont l’arrivée au pouvoir a déjà coûté cher au peuple ivoirien. Apparemment, Ouattara, catalyseur d’un problème identitaire : « l’Ivoirité », s’en fout de la constitution malgré toute la clarté de son contenu. Elle dispose en son article 55 que : « Le Président de la République est élu pour 5 ans par suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois ». Cette loi se passe d’interprétations et de commentaires à tel enseigne que les éléments de Ouattara sautent l’argument juridique pour avancer sur un éventuel « Troisième République » qu’ils entendent inaugurer par un autre premier mandat.

Pourtant Ouattara a eu les applaudissements de Macron quand il déclarait : « Je salue décision historique de Alassane Ouattara, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle! » WOW. « L’homme de parole et l’homme d’État » Ouattara viole la constitution sur la limitation des mandats et trahit son serment de « respecter et de défendre la Constitution ». Ce serment précise que « Que le peuple me retire sa confiance et que je subisse les rigueurs de la loi, si je trahis mon serment ».

Aujourd’hui, les flammes reprennent petit à petit en Côte-d’Ivoire puisque son Chef a brisé ce serment solennel. Et l’urgence de la situation n’augure rien de bon sauf si le troisième pouvoir avait le courage de poursuivre le Président pour trahison ou parjure, ou de rejeter sa candidature pour inconstitutionnalité. Au cas contraire, le pays va vers des lendemains incertains seulement pour préserver ses intérêts et ceux de la France qui le parraine. Cette France là a un problème existentiel politico-économique, soutient et maintient ses pions en Afrique et ce dans l’ignorance totale de la loi et de l’éthique pour des motivations impériales.

Ce syndrome du mandat va continuer de hanter beaucoup de pays africains. D’abord parce que le concept de démocratie tant chanté dans le continent n’a pas de contenu solide et durable. Le Président est et reste au centre de tout et sa volonté pèse plus lourde que les lois les plus concises. Il peut la violer autant qu’il voudra. Il peut toujours compter sur ses sbires partout et tout le temps pour aveugler les uns, corrompre les autres et intimider les téméraires.

Ensuite la justice, pouvoir séparer, c’est-à-dire indépendant par rapport à l’exécutif, est pour la plupart figurante seulement ou elle est la première complice des forfaitures contre la souveraineté des peuples. Les Conseils Constitutionnels en Afrique valident les candidatures dans toute l’illégalité et valident le truquage des élections qui sont souvent une sorte de comédie dont le moins doué des analystes est capable de prédire la suite avec exactitude.

Comme la Côte-d’Ivoire en ce moment, le Sénégal risque de vivre encore des moments sombres dès 2023. En effet depuis 2001, le pays est hanté par cette même problématique des mandats limités mais sans fin! Un problème que la constitution a déjà réglé depuis 2001 et de 2016 mais qui reste encore entier dans la tête de Macky Sall dont le peuple a fini de mesurer la valeur de ses engagements les plus solennels! Macky table sur le Conseil Constitutionnel pour faire passer sa candidature et le reste sera un remix de la dernière : un haut magistrat qui tremblote comme un élève de CE2 pour déclarer les résultats.

L’éthique qui, après la loi, constitue l’autre barricade contre les turpitudes de nos chefs, est soit mal comprise soit méprisée dans son essence même. Quand le mensonge ne dérange plus le Chef en dépit des preuves audio et télévisuelles contre lui, il peut tout se permettre. Quand le Chef qui a juré de respecter et de défendre la loi, la viole à volonté, il se dépouille, tout seul, de la confiance dont il est investi, et de la dignité pour abuser de la force collective, temporairement mise entre ses mains.

Au-delà de la loi, l’éthique qui préserve la dignité humaine devrait prévaloir sur tout. Hélas, on se dédit, on viole la loi avec l’appui ou le regard impuissant des juristes sans beaucoup de gêne. La loi, comme le peuple qu’elle est censée gouverner, subissent une violence inouïe de la part de politiciens au goût démesuré du pouvoir.

À la CEDEAO de chercher les moyens de mettre fin à cette pagaille politicienne qui ne fait que déstabiliser nos pays.

Sidy Moukhtar Touré
Washington D.C.
Sitou25@ulaval.ca