Troisième mandat en Côte d’Ivoire : derrière la décision de Ouattara, il y a certainement la main de la France

Un troisième mandat qui risque d’embraser une Côte d’Ivoire qui n’est toujours pas sortie de la crise. Alassane Ouattara, actuel président de la République de la Côte d’Ivoire, a annoncé ce 6 août sa décision de se présenter pour un troisième mandat à la tête du pays.

Dans son compte Twitter, le président ivoirien a justifié sa décision en ces termes : « face à ce cas de force majeure et par devoir citoyen, j’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Je suis donc candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ».

La déclaration a fait l’effet d’une bombe d’autant plus que le président ivoirien avait clairement fait savoir qu’il ne se présenterait pas à un troisième mandat. « J’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération », disait-il en mars 2020.

Cinq mois plus tard, retournement de veste. Le président revient sur ces propos et risque de provoquer une crise politique sans précédent. La question à se poser est celle de savoir pourquoi Ouattara a pris une telle décision au moment où toute l’opposition réclame son départ et que la Constitution ivoirienne, à son article 55, précise clairement qu’il n’y a pas de 3ème mandat en Côte d’Ivoire.

Il faut dire que le décès de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, ancien premier ministre ivoirien, survenu ce 8 juillet 2020, a tout chamboulé. Dans les normes, ce dernier devait être candidat du parti présidentiel Rassemblement des Républicains (RDR). Avec son décès, le président opère un véritable coup de force en bafouant ouvertement la loi fondamentale qui en aucun cas ne lui donne l’autorisation de se maintenir au pouvoir.

Alassane Ouattara prend certainement les Ivoiriens pour des cons. Car, ce 6 août, en s’expliquant sur sa décision de briguer un troisième mandat, il dit vouloir rester au pouvoir « afin de mettre son expérience sans relâche au service de notre pays ». Il a certainement oublié qu’il est installé au pouvoir depuis 2011 dans des circonstances que nous connaissons tous et avait suffisamment de temps pour le faire.

Interrogé par France 24 ces dernières heures, Patrick Achi, secrétaire général de la Présidence, explique la décision de Ouattara par l’absence d’un candidat au sein du parti et ajoute que le parti a insisté sur le retour de Ouattara au pouvoir « pour l’amour du pays ». Comme si l’opposition qui réclame son départ n’aimait pas la Côte d’Ivoire.

L’autre question qui se posera dans les jours qui viennent est celle de savoir si, en présentant sa candidature, Alassane Ouattara a obtenu la bénédiction de la France. Pour le moment, Macron est dans un mutisme total. Sur son compte twitter, il n’y a eu aucune réaction de sa part concernant la déclaration faite par un chef d’Etat africain qui lui est très proche.

Je dois en effet rappeler que Alassane Ouattara et Emmanuel Macron se sont engagés dans la mise en place d’un chantier qui est cher à la France : la mise en place de l’ECO, la nouvelle monnaie qui devrait remplacer le CFA dont la naissance a été officiellement actée par les deux chefs d’Etat en Côte d’Ivoire le 22 décembre 2019. La France, ne voulant pas perdre le contrôle sur la monnaie africaine qui lui rapporte beaucoup, ne prendrait jamais le risque de se débarrasser de lui.

En effet, Emmanuel Macron ne peut pas se permettre de perdre un allié aussi important sur le continent, surtout dans une période où les mouvements panafricanistes pullulent sur le continent réclamant la fin de la tutelle française, la fin définitive du FCFA et la fin de l’ingérence française dans les affaires internes de leurs Etats.

Alassane Ouattara est tout sauf dupe. C’est un élément central de la FrançAfrique qui a été installé au pouvoir en 2011 grâce à Nicolas Sarkozy pour perpétrer une politique qui plaît à l’ancienne puissance coloniale. Il n’aurait jamais accepté de briguer un troisième mandat s’il avait la certitude de ne pas pouvoir obtenir le soutien de Paris. En conséquence, s’il se représente une troisième fois, c’est qu’il en a déjà parlé avec Macron et que ce dernier a approuvé sa décision.

Le gros danger de la décision de Ouattara de se présenter une troisième fois est qu’il donne un feu vert à d’autres présidents africains dont le mandant devrait logiquement prendre fin. Parmi eux, il y a Macky Sall, président du Sénégal, qui est en train de finir son second et dernier mandat et dont le projet d’une troisième candidature tient le Sénégal tout entier en haleine.

Il arrive un moment où les dirigeants africains, qui sont souvent soutenus par des puissances occidentales par pur opportunisme politique, doivent apprendre à respecter la Constitution de leur pays. En France, aucun chef d’Etat, peu importe son mandat, n’ose briguer un troisième mandat justifiant sa décision par le fait qu’il n’a pas encore fini son projet de bâtir le pays. Sinon, Hollande et Sarkozy n’auraient pas jeté l’éponge après n’avoir brigué qu’un seul mandat.

Alassane Ouattara a 78 ans. Il a eu le temps et l’honneur d’avoir été à la tête de l’un des pays les plus importants de l’Afrique francophone. Son bilan est certes mitigé mais au moins durant ses 10 ans de règne, la Côte d’Ivoire a connu la stabilité politique après une violente crise en 2010 qui a fait plusieurs morts. Et c’est tout à son honneur.

La page Ouattara doit être tournée et la France doit faire pression, comme l’avait fait en son temps François Mitterand dans son discours de La Baule de 1990, insistant sur le fait que sans la mise en place de systèmes démocratiques, aucun pays africain ne bénéficierait de l’aide financière de l’Occident.

La décision d’Alassane Ouattara risque de jeter de l’huile sur le feu. Elle ne participe en aucun cas à apaiser les tensions. Au contraire, elle vient de rouvrir une plaie qui semblait fermée. La Côte d’Ivoire regorge d’une jeunesse dynamique et pragmatique. Cette jeunesse ne mérite pas le sort qui lui est réservé.