William Dab, ex directeur général de la Santé, prévient : « tout miser sur le vaccin est dangereux »

Dans une interview accordée au Journal du Dimanche et publiée ce 26 décembre, William Dab, ex directeur général de la Santé, estime que tout miser sur le vaccin est dangereux

Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire l’interview dans sa version intégrale 

Excellente lecture

Près de 100.000 nouveaux cas samedi… Cette vague Omicron vous inquiète-t-elle?
Oui. Je n’ai jamais vu une pandémie de cette nature, un virus qui se diffuse aussi vite. Au regard des données partielles de Grande-Bretagne et d’Afrique du Sud, ce variant semble entraîner moins de formes sévères que Delta. Mais ce qui compte, c’est le nombre absolu de cas graves qui devront être admis à l’hôpital ou en soins critiques. Un risque individuel de formes sévères faible multiplié par des centaines de milliers de personnes, cela peut entraîner un nombre élevé d’hospitalisations.

L’hôpital pourra-t-il faire face?
Faites tout votre possible pour ne pas vous y retrouver! D’après les projections de l’Institut Pasteur, un scénario plausible nous place début janvier à 1.000 hospitalisations par jour dont 250 en soins critiques. On aurait 10.000 malades hospitalisés et 3.500 en soins critiques. Or la situation dans les établissements est déjà très fragile, par manque de personnel. Aux vacances s’ajoute un absentéisme très élevé : les soignants contaminés, les cas contact, ceux qui gardent leurs enfants ou qui, nombreux, sont partis travailler en centres de vaccination où les salaires sont plus avantageux.

 La France a-t-elle tardé à réagir?
Oui, mais c’est une constante depuis le début de l’épidémie! Début décembre, on me trouvait alarmiste quand j’évoquais 80.000 nouveaux cas par jour à la fin du mois… On est au-delà! Autour du 15 décembre, en regardant la situation britannique, on voyait ce scénario se profiler. Mieux vaut taper fort, très tôt, pas longtemps, comme le font le Portugal ou les Pays-Bas. Maintenant que le tsunami est là, on va être contraints de prendre des mesures plus longues, avec un coût économique et psychologique plus élevé. On perd sur le plan sanitaire et économique. La lassitude gagne la population.
Le conseil scientifique craint « des centaines de milliers de cas » en janvier et une désorganisation de la société. Le risque est-il réel?
Oui, la France peut être bloquée. On ne peut plus stopper le virus. On peut juste étaler le pic en réduisant la durée d’isolement des cas positifs et contacts, relâcher la maîtrise de la circulation virale pour éviter que le pays s’effondre. Cette vague d’absentéisme menace nombre de secteurs essentiels, malgré les plans de continuité d’activité des grandes entreprises. Si dans une centrale un tiers des agents est en arrêt maladie, et si l’Autorité de sûreté nucléaire estime que les conditions de sécurité ne sont pas respectées, elle sera mise à l’arrêt. Idem pour l’approvisionnement alimentaire… C’est évitable car on peut mobiliser la sécurité civile ou l’armée s’il le faut. Mais on pourrait affronter des situations tendues.
La campagne de rappels ne suffira pas à surmonter la vague?
L’effort français actuel est remarquable. Mais tout miser dessus, et comme le fait le gouvernement, laisser croire que la vaccination va nous empêcher d’être submergés, c’est dangereux. Cela a démobilisé les Français sur l’hygiène et les gestes barrière. Les ventes de gel et de masques ont d’ailleurs baissé. L’OMS le dit : le vaccin est une arme majeure, mais seul, il ne viendra pas à bout d’Omicron.

Que faut-il faire?
Les travaux de modélisation de Vittoria Colizza, à l’Inserm, ont montré l’efficacité du couvre-feu. C’est un des outils à mettre en place tout de suite, avant le réveillon. Il faut aussi amplifier le télétravail ; instaurer des jauges pour les rassemblements ; fermer les lieux clos où l’on ne porte pas de masque comme les restaurants et cafés, des sources majeures de clusters avec un tel variant. Ces décisions sont difficiles à prendre. Il faut mettre les options sur la table et en débattre, pas seulement en France, au niveau mondial. Je regrette que ce débat entre restrictions des libertés et protection de la santé n’ait pas lieu, même au Parlement! Les décisions tombent depuis un conseil de défense, de manière quasi militaire. C’est regrettable. Cette dimension de démocratie participative manque. La population est pourtant capable d’accepter beaucoup de choses quand on lui donne le sens de ce qu’on fait.

Faut-il repousser la rentrée scolaire?
Oui. Avec le télétravail, cela peut avoir un impact. Le ministre de l’Education nationale doit cesser son négationnisme inacceptable : oui, les enfants se contaminent à l’école. Jean-Michel Blanquer refuse de fermer les établissements mais n’est pas en mesure de sécuriser les classes. Or ce virus n’est pas sans conséquence sur les plus jeunes : hospitalisations, Covid long. Et ceci est évitable!

Le passe vaccinal, bonne idée?
Oui, en théorie. Mais quelle sera son efficacité, au-delà de la petite frange d’attentistes qui commence à se vacciner? Les 5 à 10% d’antivax ne bougeront pas. Je trouve par ailleurs problématique cette forme d’obligation vaccinale déguisée dont l’Etat ne prend pas la responsabilité. Le Conseil constitutionnel pourrait d’ailleurs le rejeter si on n’a pas la possibilité d’y échapper en se faisant tester.

Israël et le Chili se lancent dans la quatrième dose. Va-t-on vers une course sans fin?
C’est une possibilité qui, à terme, peut fragiliser l’adhésion de la population à la vaccination. Une autre voie consisterait à mettre au point des vaccins adaptés à Omicron. Mais il faut éviter cette fuite en avant, ne pas s’enfermer dans un scénario unique. Parmi les nombreuses inconnues figure celle du variant suivant.

Ne faut-il pas alors protéger les plus vulnérables et laisser les autres se contaminer?
C’est une fausse bonne idée : avoir été contaminé par Alpha et Delta ne vous immunisera pas forcément contre les variants suivants. Cela relève aussi d’une question d’éthique : est-on prêt à laisser mourir de ce virus nos personnes âgées et fragiles? En 2020, en France, les hommes ont perdu 0.7 année d’espérance de vie, les femmes 0.5 selon l’Insee. On n’avait jamais connu une telle baisse en temps de paix.

Y-a-t-il des motifs d’espoir?
C’est la première fois que face à une pandémie, on refuse le fatalisme. On dispose d’outils scientifiques et médicaux exceptionnels, qui permettent d’analyser tout de suite le type de virus, d’observer ses mutations, de diagnostiquer la situation en temps réel. On décide que les morts qu’on peut repousser, c’est une valeur importante. Si la production de richesse ne sert pas à améliorer les conditions de vie des gens, quel est son sens?