(Une analyse de Kareem Salem)
Pourquoi la France devrait-elle s’intéresser davantage à l’Irak ? Depuis février, l’Irak est confronté à la pandémie de coronavirus. La propagation du virus a entraîné le retrait des forces européennes combattant Daesh.
L’auteur propose un plan en deux parties pour alimenter la réflexion sur la nécessité pour Paris de soutenir les autorités irakiennes afin de renforcer la position diplomatique et stratégique de la France.
Dans une région marquée par sa fragilité politique, économique et sécuritaire, la pandémie de coronavirus accentue cette notion. La crise sanitaire rend encore plus fragiles les États en déliquescence comme l’Irak. Depuis octobre 2019, l’Irak est secoué par un mouvement de protestation populaire exigeant une refonte du système politique et une amélioration des conditions économiques et sociales.
La colère populaire a conduit à une crise politique, notamment après la démission du Premier ministre, Adel Abdel-Mehdi en novembre 2019. Depuis sa démission, l’Irak a été plongé encore plus profondément dans l’inconnu, puisque deux premiers ministres désignés n’ont pas réussi à former un gouvernement.
Les défis internes ont également été exacerbés par les tensions entre Washington et Téhéran, l’effondrement des prix du pétrole et la multiplication des attentats terroristes propagés par Daech.
Ainsi, la France qui a des intérêts économiques et sécuritaires en Irak, ne peut se permettre de voir une aggravation de la crise sanitaire qui ne ferait que donner à Daech l’occasion de renforcer sa capacité de nuisance.
Fournir une aide sanitaire
Encore profondément marqué par quatre années d’occupation par Daech, l’Irak n’a pas les moyens de lutter contre le coronavirus. Les hôpitaux manquent de fournitures et d’équipements médicaux. Dans les zones les plus durement frappées par le conflit contre Daech, les lacunes dans la gestion sanitaire sont visibles dans le traitement des patients hospitalisés, où le personnel médical manque de gants et de masques, entre autres, ce qui favorise la transmission du coronavirus.
Compte tenu de la diplomatie sanitaire menée par la Chine en Irak, il est urgent que la France soutienne les autorités de Bagdad dans la lutte contre la pandémie. Paris a déjà réagi en fournissant à l’Iran, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, des équipements permettant de protéger son personnel de santé. En ce sens, afin de contrer l’influence croissante de la Chine en Irak, il est important que la diplomatie française s’engage à fournir aux autorités irakiennes du matériel médical dans le but de renforcer les relations diplomatiques entre Paris et Bagdad.
Rétablir les opérations antiterroristes
La situation sécuritaire en Irak exige que la France rétablisse les opérations antiterroristes contre les cellules dormantes de Daech. Cette décision est importante étant donné que, suite à la suspension des opérations de la coalition internationale, l’organisation terroriste a profité de la situation pour accroître ses activités de nuisance.
Il convient de noter que Daech compte environ 3 500 à 4 000 combattants dans ses rangs, notamment dans les environs de Qarachokh, Makhmour, Hamrin, Kirkouk et dans les provinces de Saladin, al-Anbar et Diyala. L’organisation terroriste est responsable d’un attentat perpétré le 4 avril contre quatre soldats de l’armée irakienne à l’ouest de la ville de Ratba, dans la province de d’al-Anbar. Parallèlement, le mouvement terroriste a également commis ce mois-ci une dizaine d’attentats en deux jours contre la police et les milices chiites dans les régions de Diyala, Salahaddine et Kirkouk.
Il est à craindre que la poursuite des opérations réussies de Daech ne renforce sa puissance tactique et ses capacités de coordination. Cela pourrait conduire à une domination psychologique sur ses rivaux, ce qui pourrait encourager l’organisation terroriste à poursuivre des attaques plus répandues à travers l’Irak, si elle n’est pas contrôlée.
Alors que la France a atteint le pic de l’épidémie de coronavirus, le ministère des forces armées devrait s’attacher à réclamer le redéploiement des raids aériens contre les cellules dormantes de Daech en Irak. Le contexte exige un tel plan pour démanteler la coordination et la capacité logistique du groupe. L’armée de l’air dispose de 6 à 8 avions Rafale stationnés sur la base aérienne 10 d’al-Dhafra aux Émirats arabes unis, qui peuvent être utilisés pour assurer l’efficacité de l’opération militaire.
Bien que les deux tiers des marins à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle aient été infectés par le coronavirus, il ne faut pas oublier que la mission prioritaire des forces armées est d’assurer la défense de la nation, notamment contre les menaces extérieures. En ce sens, afin de prévenir tout risque futur de contamination, il sera urgent que des mesures préventives soient systématiquement appliquées par les responsables militaires.
D’un point de vue stratégique, le redéploiement des frappes aériennes vers les cellules dormantes de Daech pourrait permettre à Paris de consolider les intérêts du secteur pétrolier français au pays des deux fleuves. En effet, pour le groupe pétrolier Total, la stabilité sécuritaire de l’Irak est essentielle pour la poursuite de ses explorations pétrolières. La compagnie pétrolière détient 22,5 % des parts du champ pétrolifère d’Halfaya et 18 % du bloc d’exploration de Sarsang, dans le nord du Kurdistan irakien. En ce sens, il est donc dans l’intérêt de la France de renforcer ses capacités militaires dans la lutte contre Daech en Irak.
La situation sanitaire et sécuritaire en Irak est préoccupante et nécessite une aide extérieure pour surmonter ces difficultés. La France, avec ses intérêts économiques et sécuritaires, ne peut se permettre de voir la situation sanitaire et sécuritaire se détériorer et doit donc répondre à ces défis. En fournissant une aide médicale et en redéployant des frappes aériennes contre les cellules dormantes de Daech, Paris améliorerait ses chances de renforcer la position diplomatique et les intérêts stratégiques de la France au pays des deux fleuves.