Alors que le débat sur l’immigration s’ouvre à l’Assemblée Nationale, 13 maires font pression sur l’Etat, dans une tribune, lui demandant d’accorder des conditions de vie dignes aux personnes migrants présentes sur le sol français quel que soit leur statut
« En avril dernier, nous maires d’Aubervilliers, Grande-Synthe, Grenoble, Lille, Metz, Nantes, Paris, Rennes, Strasbourg, Saint-Denis, Toulouse et Troyes, avons interpellé le gouvernement sur la situation des personnes à la rue, parmi lesquelles des personnes migrantes cherchant un refuge dans les villes de France. Une situation qui, malgré les dispositifs mis en place par l’Etat et les efforts réalisés en matière de création de places d’hébergement, ne cesse de se dégrader.
Dans les campements de fortune qui se sont installés au cœur de nos villes, on compte chaque jour plus d’hommes, de femmes et d’enfants. Il n’est pas rare d’y voir des nourrissons et des familles entières en attente d’une solution. Livrées à elles-mêmes, exposées à toutes les difficultés qu’implique la vie dans la rue, ces personnes sont dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Plus de quatre mois après ce courrier demeuré sans réponse, la situation reste très inquiétante. Après l’été et son lot d’épisodes caniculaires, c’est bientôt l’hiver qui se profile, avec des conditions climatiques qui font craindre pour la survie des personnes. Face à l’urgence, les villes font tout leur possible pour apporter une réponse à cette crise qui dure depuis trop longtemps. Sur tout le territoire, des actions concrètes ont été mises en œuvre pour prendre en charge celles et ceux que la carence de l’Etat contraint à vivre dans des conditions indignes.
Grenoble a pris un arrêté anti «mise à la rue», qui a été suspendu cet été par le tribunal administratif. Des personnes sans domicile sont accueillies en partenariat avec des associations et des collectifs dans des lieux disponibles ou temporairement vacants appartenant à la ville. Rennes héberge, chaque nuit, 640 personnes migrantes et ouvrira prochainement un centre d’hébergement d’urgence de 100 places pour les familles. La ville de Grande-Synthe a également ouvert l’hiver dernier un gymnase ayant permis d’accueillir près de 250 réfugiés. En 2018-2019, au-delà des actions déjà menées, Nantes a pris en charge l’hébergement et l’accompagnement social de 758 personnes après la fermeture d’un campement. Récemment, 88 nouvelles places ont été mises à la disposition de l’Etat pour abriter des familles à la rue. Les bains-douches municipaux accueillent chaque jour plus de 140 personnes.
Depuis deux ans, Metz met à disposition de l’Etat un lycée désaffecté qui s’est transformé en centre d’accueil temporaire des migrants en attente d’hébergement. Un carrefour des solidarités a été créé, placé sous l’égide du CCAS ; il permet d’accueillir toute personne en situation de précarité pour lui faciliter l’accès aux soins et aux droits. Paris a créé, en lien avec Saint-Denis, une halte d’accueil humanitaire à proximité des campements. Dans ce lieu très fréquenté, plus de 400 personnes sont accueillies chaque jour pour un temps de répit.
Deux centres humanitaires ont également été ouverts, dont un dédié aux hommes qui a accueilli plus de 25 000 personnes sur dix-huit mois, et un dédié aux familles, en lien avec la ville d’Ivry-sur-Seine et qui est encore en activité. Saint-Denis a ouvert ses centres de vacances et ses gymnases durant les périodes hivernales. Aubervilliers a mis en place une cellule de veille qui réunit les associations effectuant des maraudes et les services municipaux participants aux signalements des personnes SDF. Depuis 2015, Lille a permis l’accueil et l’accompagnement de nombreux réfugiés dans des lieux divers (résidences municipales et logements diffus notamment).
Lille accompagne et soutient également les associations organisant des maraudes et des distributions alimentaires auprès des personnes vivant à la rue. Dans sa démarche «Ville hospitalière», Strasbourg a ouvert des accueils nouveaux, en logement ou habitat «intercalaire», et un lieu de répit pour familles à la rue. En deux ans, sous son impulsion, l’hébergement de migrants, en lien avec les acteurs locaux, a permis de mettre fin à plus de 12 campements. A Toulouse, le plan de résorption des bidonvilles initié en 2015 a permis d’accueillir plus de 1 200 personnes grâce à sa capacité d’hébergement de 150 appartements. Plus de 300 d’entre elles ont été orientées vers des logements sociaux après un accompagnement vers l’inclusion sociale. La Ville ouvrira plus de 100 places supplémentaires d’ici la fin de l’année à destination des publics réfugiés.
Les villes agissent. A leurs côtés, nombreuses sont les associations, les entreprises, les citoyennes et les citoyens qui s’engagent pour mettre fin à une réalité devenue insupportable ; pour trouver des logements vacants, coordonner la prise en charge des personnes et répondre aux besoins spécifiques. Tous font un travail considérable. Mais cette mobilisation, aussi soutenue soit-elle, ne doit pas avoir pour effet de décharger l’Etat de compétences qui sont les siennes. D’autant que, si les acteurs de terrain ne manquent pas d’idées, ils arrivent à court de moyens.
Seul l’Etat est à même de créer et de déployer le dispositif pérenne dont nous manquons aujourd’hui. Un dispositif qui peut s’inspirer des solutions imaginées par les villes, comme le centre humanitaire qui a récemment fermé Porte de la Chapelle à Paris. Nous avons besoin de lieux comme celui-ci, identifiables et accessibles à tous. Seul l’Etat est en mesure de porter au niveau européen les négociations relatives à la crise migratoire, pour construire une réponse globale au défi que pose l’accueil des réfugiés en France.
C’est pourquoi nous réitérons notre appel à l’Etat, pour qu’il assume pleinement son rôle. Il en va de la garantie du respect des droits fondamentaux dont toute personne peut se prévaloir, conformément à nos valeurs et à la tradition humaniste dont se revendique notre pays. Il s’agit également de faire revenir la tranquillité publique dans des quartiers très éprouvés par la permanence de situations humaines et sociales critiques.
Nous, maires, exigeons la mise à l’abri inconditionnelle des personnes présentes sur notre territoire puisque le droit impose que toute personne, même déboutée ou «dublinée», soit prise en charge avant son éventuel renvoi. Nous demandons par ailleurs à être reçus sans délai pour échanger sur le dispositif d’accueil et d’orientation des migrants. Ce nouvel appel doit trouver un écho, alors que s’ouvre le débat sur la situation des migrants. »
Signataires :
Nathalie Appere, maire de Rennes ; Martine Aubry, maire de Lille ; François Baroin, président de l’Association des maires de France, maire de Troyes ; Martial Beyaert, maire de Grande-Synthe ; Philippe Bouyssou, maire d’Ivry-sur-Seine ; Meriem Derkaoui, maire d’Aubervilliers ; Dominique Gros, maire de Metz ; Anne Hidalgo, maire de Paris ; Jean-Luc Moudenc, président de France urbaine, maire de Toulouse ; Eric Piolle, maire de Grenoble ; Roland Ries, maire de Strasbourg ; Johanna Rolland, maire de Nantes ; Laurent Russier, maire de Saint-Denis.