Un édito du journaliste Adam Nossiter du New York Times sur la grève générale contre la réforme des retraites qui a commencé ce 5 décembre
Excellente lecture
« Le président veut combiner 42 complexes régimes spéciaux en un seul. Cela fait peur à ses compatriotes. Et son style personnel agace plus d’un.
Les rues de Paris ont été remplies de manifestants anti-Macron, de gaz lacrymogènes et de policiers au moment où Emmanuel Macron faisait face une nouvelle fois à ce qui est devenu un symbole de sa présidence : la crise sociale. Cette fois-ci, il s’agit d’une grève générale contre son projet de réformer le système des retraites du pays.
Une bonne partie du pays a été paralysée par des transporteurs qui ont décrété une grève qui pourrait se poursuivre jusqu’à la semaine prochaine. D’après les sondages, environ 1 million de manifestants ont participé à ces manifestations qui se sont déroulées partout dans le pays. Trains, métros et bus ont été annulés, plusieurs écoles fermées et des milliers de personnes ont dû travailler de chez eux.
A Paris, on pouvait apercevoir la fumée au niveau de la Place de la République et au niveau du Boulevard de Magenta, épaules contre épaules, des syndicalistes en colères contre le projet de Macron ont manifesté. A Rennes, des manifestants ont vandalisé des magasins ; A Nantes, les CRS ont repoussé la foule en les gazant et à Lyon, des échauffourées ont eu lieu entre policiers et manifestants.
Cependant, derrière la colère, il y avait la figure très contestée du président Macron, un ancien banquier d’affaires, élu président de la France il y a deux ans et demi et qui avait promis de secouer un système français très sécurisé mais jugé incompatible avec le monde des affaires, avec la croissance ou avec l’emploi.
Son ultime ambition (fusionner 42 régimes spéciaux en un seul) fait peur à ses concitoyens et son style impérieux agacent plus d’un. Ce jeudi, la colère envers Macron les a réunis une nouvelle fois comme ce fut le cas il y a exactement une année lorsque le mouvement des Gilets Jaunes l’ont guillotiné dans des affiches qui circulaient un peu partout dans le pays.
D’après les spécialistes, les manifestations de ce jeudi ont atteint le summum d’une colère contre Macron manifestée par les Français il y a un an avec la naissance du mouvement Gilets Jaunes. Les Gilets Jaunes ne peuvent manifester que les samedis car, à temps partiels pour beaucoup, ils ne risquent pas de perdre leurs boulots. Ce jeudi, ce sont les employés syndiqués (enseignants, personnels des hôpitaux, quelques fonctionnaires) qui sont sortis manifester. Ils ne risquaient pas de perdre leurs emplois, mais ils ont fait part de leurs angoisses.
« Le gouvernement a créé le malaise des syndicats avec cette réforme. C’est l’autre France qui se révolte aujourd’hui. L’année dernière, c’était la France périphérique et cette année, ce sont les syndicats, les enseignants », commente Daniel Cohen, économiste et directeur de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure.
Et cette jonction (deux colères d’une même nation qui se réunissent) pose un grand problème à Macron. En effet, certains Gilets Jaunes ont manifesté avec les syndicats, alors qu’ils les avaient mis en quarantaine durant toutes leurs manifestations de l’année dernières.
Macron aurait souhaité rester au sommet de l’OTAN qui s’est achevé ce mercredi à Londres. Là-bas, il jouit d’une posture qui lui va bien, au moins dans propres yeux : le leader de l’Europe et le seul dirigeant du continent qui peut tenir tête à Donald Trump. Sa réponse sèche à Trump à qui il a lancé publiquement « Soyons sérieux » reste un moment emblématique marquant la marginalisation du président américain en tant qu’interlocuteur à l’échelle mondiale.
Dans le passé, les conseillers de Macron ont fréquemment tenté de créer un lien entre les deux hommes (tous deux des outsiders, apolitiques) afin de montrer qu’ils pouvaient trouver des terrains d’entente. Ce jeudi, ils avaient quelque chose d’autre en commun : Macron comme Trump sont rentrés chez eux pour constater des dégâts.
Les homologues européens de Macron ont cédé au président français la première place presque par défaut, même s’il les agace en prenant des décisions unilatérales avec une grande certitude. Mais, le problème qu’a Macron est que cette approche irrite ses compatriotes aussi.
Cette friction a développé un sérieux obstacle à sa volonté de changer la France comme il l’avait promis dans un manifeste intitulé Révolution il y a deux ans. Il est désormais moins populaire chez lui que ne l’est Trump aux Etats-Unis. A l’Elysée, ce jeudi, une haute autorité a confié que Macron était « calme et déterminé » face au mouvement de grève. Ce n’était pas l’ambiance dans les rues.
Aujourd’hui, une grande partie de la colère envers le président français chez les manifestants était presque personnelle. En effet, selon Benoît Martin, membre du syndicat UGT, tout est à voir avec Macron lui-même. « Cette grève exprime une sorte de pouvoir de résistance face au pouvoir de Macron », a-t-il déclaré.
C’est vrai. Les projets de Macron provoquent une certaine crainte dans une France très mal à l’aise qui demande plus de sécurité, pas moins. Le système de retraite actuel est l’un des plus protecteurs au monde, d’où tout son défaut d’ailleurs. Beaucoup de Français se demandent pourquoi un projet fait d’incertitude devrait le remplacer.
Mais, selon Macron le système byzantin actuel est à la fois coûteux et injuste. Il pourrait créer un déficit estimé à 19 milliards de dollars et ses disparités feront certains employés prennent leurs retraites plutôt que d’autres. Alors qu’il ne propose pas de dépenser moins sur les pensions ou de faire en sorte que les gens prennent leurs retraites plus tard, Macron veut simplifier le système, faisant planer la crainte de ménager gagnants et perdants de la réforme.
La réforme de la retraite n’est pas la première réforme de Macon qui suscite une grosse colère. Le changement du statut des cheminots et la réforme du code du travail avaient aussi suscité des grosses manifestations dans les rues du pays. Ces réformes font qu’il est désormais plus facile de recruter ou de licencier un employé et ont fait baisser le taux de chômage qui passe de 10% à quelque 8,4% cette année. Cependant, de nombreux Français jugent que les avantages de telles réformes ne changent pas le sentiment d’insécurité qu’elles ont déjà introduit chez eux.
Au-delà de cela, il y a désaffection impressionnante envers Emmanuel Macron, envers sa personnalité et ses idées. Certes il parle aux Français, très longuement parfois et de manière remarquable, mais, cela ne les rassure pas pour autant. (…)
Comme ce fut le cas du mouvement des Gilets Jaunes, tout dépendra de la bataille pour gagner l’opinion publique. Le gouvernement a été contraint d’écouter et de surveiller la répression policière tant que le soutien au mouvement restait encore populaire. Quand ce soutien a baissé pour atteindre les 50%, le gouvernement a bouché les oreilles et a libéré la police (…) »
Cet édito a été partiellement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com.
Pour lire l’édito dans son intégralité et dans sa version originale, cliquez ici : The New York Times.