Arrestation de Boubacar Seye et Samba Sall : au Sénégal, la liberté d’expression entre la vie et la mort

Ces derniers jours, les Sénégalais ont été bombardés d’infos et d’infox concernant la disparition mystérieuse de Diary Sow, sacrée à deux reprises, meilleure élève du Sénégal et poursuivant ses études au très prestigieux Lycée Louis Le Grand situé en plein cœur de la capitale française.

Le dénouement de l’Affaire Diary Sow, un fait divers devenu une affaire d’Etat, semble connaître une issue heureuse car d’après les dernières informations fournies à la presse par son parrain, Serigne Mbaye Thiam, la jeune fille serait entre de bonnes mains. Elle aurait d’ailleurs choisi de s’écarter des projecteurs et de l’hypermédiatisation dont elle a été été victime pour retrouver « un répit sanitaire », selon l’expression utilisée dans une lettre qui lui est attribuée.

L’affaire fait la une de la presse sénégalaise depuis plusieurs semaines et aucun média (télé, radio, presse papier ou site d’information) n’a raté l’occasion de lui consacrer quelques pages, à tel point que tous les autres sujets cruciaux (politiques, sociétaux, juridiques ou sportifs) ont été relégués au second plan au nom d’une indignation que je juge « sélective ».

Et je m’explique. En effet, je dois faire remarquer qu’en pleine Affaire Diary Sow, deux autres scandales ont été (volontairement) étouffés par la presse qui, étrangement, en a très peu parlé. Il s’agit des Affaires Boubacar Seye et Samba Sall. Ces deux affaires sont d’autant plus troublantes qu’elles mettent en exergue l’absence totale de démocratie dans ce pays.

Que s’est-il passé? Le premier (Boubacar Seye), président de l’Horizon Sans Frontière (HSF), a été arrêté à son retour d’Espagne. Son tort : avoir demandé des comptes à l’Etat du Sénégal sur les fonds alloués au pays pour combattre l’immigration clandestine. Pour le président de l’HSF, il n’y a aucun doute que ces fonds, estimés à plusieurs millions d’euros, ont été « utilisés à des fins personnelles ». Ce qui n’est pas faux.

Le second (Samba Sall), président du Conseil Communal de la Jeunesse de Podor, a également été jeté en prison très brièvement. Son tort : avoir tout simplement dénoncé la corruption qui gangrène le pays depuis des décennies. Dans un message qui lui a été attribué, il aurait écrit ceci : « Coronavirus, pauvreté et corruption. Nous ne pouvons cumuler tous ces maux chez nous. On peut même considérer les deux premiers comme étant « naturels » mais la CORRUPTION. Là je dis NON. Et je sais que beaucoup me diront NON aussi ». Ce qui n’est pas faux.

On peut évidemment discuter des accusations (peut-être sans fondement) de ces citoyens sénégalais. Cependant, aucun Sénégalais de bonne foi ne peut remettre en cause la véracité de leurs arguments car la réalité actuelle est que le Sénégal est un pays composé de corrupteurs et de corrompus à tous les échelons de la société.

Personne ne dira le contraire et les récentes enquêtes (menées par des organisations internationales) sur la gestion des ressources naturelles du pays ou sur les fonds alloués à la lutte contre l’immigration clandestine le confirment. Nous avons un appareil politique totalement rongé par les pots-de-vin, le clientélisme, le népotisme, le copinage et l’entre-soi. Et nous en sommes tous conscients.

La gravité de l’arrestation de ces deux hommes réside dans le fait que leurs droits les plus élémentaires leur ont été privés.  En effet, dans une Démocratie digne de ce nom, aucun citoyen n’aurait été humilié de la sorte sans qu’il ne soit en mesure d’assurer sa propre défense. Pourtant, dans le cas de Boubabar Seye et de Samba Sall, la machine judiciaire a été déclenchée sans que les prévenus ne puissent se protéger. Une méthode totalitaire qui remet sérieusement en cause l’idée de présomption d’innocence pourtant chère aux grandes démocraties.

La détention arbitraire de ces deux citoyens basés sur des motifs totalement saugrenus (selon lesquels ils n’auraient pas de preuves de ce qu’ils avancent) est indigne d’une nation qui prétend pourtant donner des leçons de bonne-gouvernances à ses voisins (Guinée Conakry, Gambie, Mauritanie…).

Et la presse a complètement botté en touche. Je le dis car ces deux arrestations devaient, pendant au moins un mois, susciter une vague d’indignations à la hauteur de celle constatée lors de la disparition de Diary Sow qui a provoqué un véritable tintamarre médiatique pour ne finalement déboucher sur rien.

Le pays va mal. Mais, la presse, dans sa recherche effrénée de l’audimat (et donc de fric), préfère n’accorder que très peu d’importances à deux scandales qui pourraient éventuellement se reproduire dans un futur proche. Si les citoyens n’ont plus le droit de dénoncer les tares de la société, il y a évidemment de quoi s’inquiéter.