Assassinat de Jamal Khashoggi : l’Arabie Saoudite tient l’Occident par les couilles

(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG, basé en France)

Aussi puissant soit-il sur le plan militaire, un Etat qui n’a pas de diplomatie n’a rien du tout. Pour comprendre ce que je dis, je vous invite à suivre de très près ce qui se passe dans le monde, notamment la guerre diplomatique qui risque de se déclencher à tout moment entre l’Arabie Saoudite et le monde occidental, principalement les Etats-Unis.

En effet, il y a une semaine, Jamal Khashoggi, journaliste saoudien très critique envers le royaume, était porté disparu. D’après la Turquie, le journaliste a été capturé, torturé et assassiné à l’intérieur du consulat saoudien d’Istanbul. Une version totalement rejetée par l’Arabie Saoudite qui dénonce une campagne orchestrée pour ternir l’image du royaume.

Depuis lors, les enquêteurs turcs ne lésinent pas sur les  moyens pour clarifier les choses. Le 10 octobre, soit trois jours après l’annonce de la disparition du journaliste saoudien qui s’était auto-exilé vers les Etats-Unis où il travaillait comme correspondant pour le Washington Post, les preuves d’un assassinat s’accumulent mettant de plus en plus en cause le royaume saoudien.

Le 9 octobre, les enquêteurs turcs avaient déjà mis en ligne une vidéo montrant Jamal Khashoggi en train de franchir la porte du consulat saoudien d’Istanbul. Sa sortie n’a jamais été filmée par une vidéo surveillance, ce qui laisse penser qu’il n’a jamais quitté le bâtiment où il s’était rendu pour effecteur des démarches administratives.

Le 10 octobre, le média turc Hurriyiet, citant un autre média Daily Sabah, avait révélé qu’un groupe de 15 hommes avaient été envoyés en Turquie par l’Arabie Saoudite. Les individus dont les photos ont été publiées dans la presse sont entrés en Turquie le 2 octobre, jour de disparition de Jamal. Simple coïncidence ? Je ne le pense pas.

Le 11 octobre, une révélation du Washington Post enfonce le royaume saoudien. En effet, d’après The Post, les services de renseignement américains avaient intercepté une conversation tenue par de hauts responsables saoudiens dont le prince Ben Salman. Dans cette conversation, il a été question de tendre un piège au journaliste afin de le capturer.

Et ce n’est pas tout, car ce 14 octobre, la presse turque a fait savoir que la montre noire Apple que portait Jamal à son entrée dans le consulat a pu filmer la scène du crime. Une information à vérifier. En tout cas, une chose est sûre : entre le 7 et le 15 octobre, toutes les pistes criminelles mènent vers l’Arabie Saoudite. Pendant ce temps, Riyad dément les accusations qui sont portées contre son royaume. Au-delà d’avoir formellement rejeté toute implication dans cette affaire, Riyad menace.

En effet, dans un communiqué publié ce dimanche, le royaume a fait savoir qu’il ne cédera à une aucune pression internationale sur cette affaire, que les fausses accusations n’écorneront pas son image, que son économie reste très influente à travers le monde et que le royaume remercie ses alliés qui lui apportent un soutien sans faille dans cette affaire qu’il qualifie d’une « campagne de fausses accusations ».

La presse saoudienne en première ligne. Ce 14 octobre, le média saoudien Al-Arabiya est allé plus loin, prédisant un « désastre économique » en cas de sanctions. « Si les sanctions des Etats-Unis sont imposées, il y a aura un désastre économique qui touchera le monde entier. Riyad est la capitale de son pétrole et y toucher affectera la production du pétrole. Cela empêchera que l’Arabie Saoudite atteigne les 7,5 millions de barils. Si le prix du pétrole qui a atteint les 80 euros met Trump en colère, personne n’écartera l’hypothèse que le prix pourrait dépasser les 100 dollars ou 200 dollars voire le double », a menacé Al-Arabiya.

Ce qui me sidère dans cette affaire est le deux poids deux mesures de la diplomatie occidentale. En effet, depuis une semaine, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne se sont murés dans un silence gênant. Ils ont certes condamné, mais à demi-mot. « Il y a nécessité d’ouvrir une enquête crédible pour rétablir la vérité sur ce qui s’est passé afin d’identifier les auteurs et de les tenir responsables », peut-on lire dans un communiqué conjoint émis par les ministres des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne.

Du côté des Etats-Unis, c’est encore pire. Il faut dire que Donald Trump n’a aucunement l’intention de lâcher l’Arabie Saoudite, son principal allié dans le monde arabe. La preuve : le président américain a fait savoir il y a deux jours que quelles que soient les conclusions de l’enquête, son administration n’annulera pas les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Là, tout est dit.

Quand je compare la docilité des gouvernements occidentaux dans cette affaire à leur rhétorique extrêmement violente contre l’Iran ou le Venezuela, je comprends très vite l’importance d’avoir une diplomatie digne de ce temps. Combien de fois, n’avons-nous pas entendu Trump s’attaquer violemment au Venezuela allant jusqu’à annoncer une possible intervention militaire contre Maduro? Comment expliquer que dès son arrivée à la Maison Blanche, il fait du retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire iranien signé en 2015 sa priorité ?

Je ne suis pas fan de ces deux régimes (ici Venezuela et Iran). Toutefois, j’estime qu’il est temps que l’Occident se montre ferme vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, accusée de financer un wahhabisme impitoyable prônant un Islam d’un autre siècle et de piétiner les droits de l’homme. Cette soumission au royaume  saoudien est d’autant plus troublante qu’en avril 2017 la CIA (Central Intelligence Agency) avait décerné la médaille George Tenet à l’Arabie Saoudite le félicitant de sa lutte contre le terrorisme. Il ne manquait plus que ça !

En tant que journaliste, j’exige plus de fermeté des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de tous les pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, qu’ils haussent le ton pour que la lumière soit faite sur la disparition ou la mort de ce confrère. Je dois le dire : c’est une honte de constater que le royaume saoudien continue de tenir l’Occident par les couilles.

Edito signé : Cheikh Tidiane DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com, basé à Paris

Email : cheikhdieng05@gmail.com