(Une analyse de Jacques Attali)
La guerre des talents est la plus importante des batailles aujourd’hui en cours dans le monde. Toutes les entreprises dont le marché est mondial (et c’est le cas de presque toutes, quelle que soit leur taille) savent que leur survie va se jouer, à l’avenir, sur leur capacité à conserver les meilleurs de leurs collaborateurs et à recruter les meilleurs parmi les nouveaux venus sur le marché du travail. Bien des entreprises mourront faute de cette ressource, avant de mourir faute d’argent.
Pour attirer et garder ces talents, plusieurs conditions devront être remplies.
D’abord, il faut, si possible, que ces jeunes aient été formés dans le pays du siège de l’entreprise, car il est plus facile de recruter des gens formés dans son environnement culturel que d’autres venus de loin. Pour une entreprise française, la guerre des talents commence donc dans les écoles et les universités. Si les jeunes Français partent en grand nombre faire toutes leurs études supérieures à l’étranger, les entreprises françaises auront moins de chance de les attirer. De même, il est essentiel, pour pouvoir attirer des talents étrangers dans nos entreprises, de réussir à les attirer dans nos universités, ce qui va complètement à rebours de la décision récemment prise par la France de faire payer très cher leurs études universitaires aux étudiants étrangers non communautaires.
Le prétexte en est fallacieux : ce qui n’est pas cher ne serait pas pris au sérieux. C’est à mon sens exactement le contraire des tendances à venir ! A terme, les meilleurs étudiants du monde iront là où on les accueillera le mieux, et même, à terme, où on les paiera le plus cher pour venir étudier ; sous forme de bourse, ou de qualité d’accueil. C’est déjà le cas, dans les meilleures universités anglosaxonnes, qui, inversant leurs tendances anciennes, (qui ont conduit à un endettement pharaonique des étudiants), font désormais tout ce qu’elles peuvent pour attirer les meilleurs. Et c’est aussi le cas de certains pays d’Europe du Nord et de l’Allemagne, qui ont commencé à comprendre que se former étant une activité socialement utile méritant salaire, il faut tout faire pour attirer les étudiants étrangers.
Ensuite, une entreprise devra pouvoir offrir à ces jeunes employés non seulement des salaires compétitifs, mais aussi, au-delà, du sens ; c’est-à-dire qu’elle doit pouvoir leur démontrer qu’elle est honnête, qu’elle emploie tous ses efforts pour protéger l’environnement, y compris chez ses fournisseurs, pour recycler ses déchets, pour respecter et faire respecter, par ses sous-traitants et fournisseurs, des règles exigeantes en matière de droit du travail. Pour être ce qu’on commence à appeler une « entreprise positive ».
Enfin, il faut pouvoir garder ces cadres, en leur offrant des perspectives de formation permanente et de carrière séduisante.
Ce n’est pas aisé. Dans le monde d’aujourd’hui, la loyauté des collaborateurs n’est pas plus assurée que celle des électeurs ou d’un partenaire sentimental. Chacun est libre et, donc, se pense moralement autorisé à être déloyal.
La bataille des talents n’en est que plus vitale et plus difficile. Pour la gagner, c’est toute la politique de la formation qu’il faut repenser, dans la nation comme dans l’entreprise. Le client n’est plus le seul à être roi. L’employé l’est aussi.
Une analyse de Jacques Attali, économiste et philosophe français