Offensive de l’armée syrienne à Idlib : Ankara en position de faiblesse ?

Située dans le nord-ouest de la Syrie, dans une région montagneuse frontalière de la Turquie, la province d’Idlib, contrôlée depuis janvier 2019 par le groupe djihadiste de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), est la dernière enclave sous le contrôle des djihadistes en Syrie.

Depuis fin avril, l’armée syrienne de Bachar Al-Assad, appuyée par des frappes aériennes russes, mène une offensive contre la région d’Idlib d’une grande importance stratégique pour le régime syrien et le Kremlin. En effet, reprendre le contrôle total de la province permettrait à Damas de contrôler plus efficacement l’aéroport d’Abou Douhour, la plus grande base aérienne de la région et l’autoroute qui relie Alep, la deuxième ville de Syrie, à la principale ville portuaire de Syrie, Lattaquié. (Malbrunot 2018 ;   Minassian 2017). Un retour à la stabilité dans la région d’Idlib permettra au président Poutine d’assurer une meilleure protection de la basse aérienne russe de Himeimin dans la province de Lattaquié (Balanche 2018).

Néanmoins, l’offensive de l’armée syrienne pourrait affaiblir l’alliance russo-turque. En effet, en septembre 2018, le président Poutine et le président Erdogan ont convenu à Sotchi d’empêcher une offensive de l’armée syrienne contre la région d’Idlib (Imbert, Jégo et Barthe 2018). Les deux chefs d’État ont également conclu que des postes d’observation militaires turcs seraient mis en place pour surveiller le bon déroulement de l’accord (Idiz 2019).

L’offensive de l’armée syrienne soutenue par la Russie dans la province d’Idlib met en péril l’accord de Sotchi et les intérêts d’Ankara. En effet, l’escalade des tensions a placé les forces turques en position de faiblesse dans la province d’Idlib, où ses postes d’observation sont susceptibles d’être ciblés pendant l’offensive (Jégo 2019). Ce fut le cas ce mois-ci lorsqu’un poste turc à Surman a essuyé des tirs de la part des troupes syriennes et qu’un convoi turc a été attaqué par des frappes aériennes syriennes aux abords de Khan Cheikhoun (Jégo 2019).

L’aide militaire turque aux forces rebelles pro-turques ne semble pas être suffisante pour inverser les rapports de force sur le terrain. En effet, l’envoi d’un convoi militaire d’environ 50 véhicules aux forces rebelles pro-turques à Khan Cheikhoun, s’est avéré insuffisant face à l’offensive de l’armée syrienne et russe contre cette ville (Kodmani 2019).

La Turquie semble aujourd’hui payer le prix de ses alliances contradictoires. En effet, le renforcement des relations entre Ankara et Moscou est en partie dû à la volonté du président Erdogan de collaborer avec le président Poutine pour trouver une solution au conflit syrien (Ali 2019). Les développements militaires en Syrie, en particulier le soutien des États-Unis aux forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) dans la lutte contre Daech, ont permis aux YPG de prendre le dessus dans le nord-est de la Syrie, ce qui inquiète Ankara, qui redoute la création d’un État kurde au sud de ses frontières (Mikaïl 2018).

Dans le même temps, la Turquie est bien consciente qu’une confrontation directe avec les YPG, où les forces américaines sont déployées, serait contraire à leurs intérêts parce qu’elle mettrait en péril ses relations militaires et économiques avec Washington. Le président Trump avait longtemps mis en garde la Turquie contre de nouvelles sanctions économiques si une telle opération militaire devait avoir lieu, ce qui a conduit Ankara à coopérer avec les États-Unis pour mettre en place un centre d’opérations conjointes dans le but de travailler à la mise en place d’une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie (Turak 2019 ; Jégo 2019).

Cette nouvelle entente turco-américaine en Syrie figure parmi les principales raisons qui ont conduit la Russie à participer avec l’armée syrienne à la prise de la ville de Khan Cheikhoun (Tastekin 2019). En effet, le Kremlin craint la mise en place d’une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie surtout si elle ouvre la voie à une présence à long terme des États-Unis et de la Turquie dans le pays, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur l’influence de Moscou en Syrie (Ali 2019).

Face à la menace d’une nouvelle entente turco-américaine dans le nord-est de la Syrie, le président Poutine tente de renforcer les relations avec son homologue turc, notamment lors de sa visite à Moscou cette semaine en lui montrant les dernières avancées russes dans le domaine militaire, en particulier l’avion de chasse Su-57 au salon aéronautique russe (Suchlov 2019). La Russie veut profiter de la suspension turque du programme américain d’avions de chasse F-35 pour vendre à la Turquie son nouveau modèle Su-57 (Kravchenko et Meyer 2019).

Perspective

L’escalade actuelle des hostilités dans la province d’Idlib risque d’avoir des conséquences terribles pour la Turquie si une solution ne se concrétise pas dans les semaines à venir. L’offensive de l’armée syrienne risque de déclencher une nouvelle crise humanitaire dans laquelle un nouvel afflux de réfugiés traverse la frontière turque, ce qui pourrait avoir de graves implications politiques pour le président Erdogan.

Le président Erdogan doit mettre la question de la province d’Idlib au cœur des discussions lors de la prochaine rencontre avec le président Poutine prévue le 16 septembre 2019. Le président Poutine appellerait probablement son homologue turc à cesser de soutenir les rebelles dans la province d’Idlib en échange de nouveaux avions de chasses russes Su-57.

Pourtant, un tel accord réduirait l’influence turque en Syrie et affaiblirait les relations avec Washington qui pourraient menacer de nouvelles sanctions et mettre fin à la coopération avec Ankara sur une zone de sécurité au sud de ses frontières. Ainsi, la situation actuelle dans la région d’Idlib pourrait amener Ankara à choisir entre ses alliances russes et américaines, ce qui ne fera que réduire son influence en Syrie.