Un édito du média américain Foreign Policy tacle sévèrement la répression policière sous Macron contre une partie du peuple français en pleine crise des Gilets Jaunes
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« Patrice Philippe ne peut enlever de son esprit le ‘sentiment d’injustice ‘ depuis qu’il a perdu son œil droit après avoir reçu une arme policière lors de sa première participation à une manifestation ce 8 décembre 2018. « Ce jour-là, ma vie a fait un virage à 180 degré », raconte-t-il au Foreign Policy. « En tant que chauffeur de poids lourd, sans mon œil, j’ai perdu immédiatement mon permis de conduire, mon travail, ma source de revenus. Ensuite, ma partenaire m’a abandonné », ajoute-t-il. A l’occasion du premier anniversaire des Gilets Jaunes, Philippe est incapable de travailler ou de se déplacer. « J’ai le sentiment de ne plus pouvoir recommencer », s’inquiète-t-il.
Le chauffeur de camion, âgé de 49 ans, est venu manifester avec les Gilets Jaunes à Paris en provenance de sa ville de Lons, une commune située dans le sud-ouest de la France. En pleine manifestation, Philippe a reçu un tir LBD 40 en plein visage alors qu’il est interdit en France de viser la tête ou les parties intimes avec une telle arme dont l’usage est interdit en Autriche, en Irlande, en Finlande, en Norvège, en Suède, au Danemark et en Grande-Bretagne. En Allemagne, seuls deux lands sur 16 approuvent son usage.
Depuis novembre 2018, date du début du mouvement Gilets Jaunes, cette arme a régulièrement été utilisée par la police française avec des grenades GLIF4 (contenant chacune 25 grammes de TNT) et des gaz lacrymogènes. Ces armes ont causé de sérieuses blessures et ont changé profondément la vie de nombreux manifestants dont Philippe. Dès novembre 2019, 315 manifestants ont été blessés à la tête, des blessures ayant mené à des fractures au niveau du crâne ou de la mâchoire ; 25 personnes ont perdu un œil ; 5 ont perdu une main et une femme est morte après avoir été touchée par une grenade, selon le journaliste français David Dufresne. En France, un tiers des personnes blessées au niveau de l’œil ces 20 dernières années l’ont été durant les manifestations Gilets Jaunes. Mais, selon le gouvernement français, les LBD ne seront plus utilisés contre les manifestants « s’ils ne commettent pas de violence physique ».
Le mouvement Gilets Jaunes, depuis sa naissance, a mis la lumière sur la galère financière d’une partie de la population française et a marqué un tournant dans la présidence de Macron qui, jusqu’à novembre 2018, n’avait jamais fait face une opposition aussi sérieuse contre sa politique libérale. Mais, cette crise a aussi mis la lumière sur les excès de la politique française au moment où la violence policière explose dans le pays. Le recours à la « violence sans précédent » chez les forces armées marque un « changement doctrinal » dans la politique française qui, traditionnellement, évite la confrontation, explique Arnault Houte, un historien de la police française à Foreign Policy.
Les tactiques des agents de la police ont été accompagnées par un important changement dans la culture politique sous Macron dont le gouvernement a été remarquablement franc dans son soutien aux forces de l’ordre et aux forces militaires. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui disent que le soutien inconditionnel de l’Etat à la police française a garanti aux forces de l’ordre une impunité virtuelle.
Les changements dans les méthodes des forces de l’ordre sous la férule de Macron ont empêché le droit de réunion que les Européens pensaient avoir acquis il y a très longtemps. Aujourd’hui, presque dans toute manifestation en France, les gaz lacrymogènes, les tirs LBD et les explosions de grenade retentissent un peu partout et les manifestants disent craindre la perte d’un œil dans les manifs auxquelles ils participent. Pendant ce temps, de plus en plus de citoyens trouvent raisonnables de s’opposer à ce statu quo économique.
La politique de Macron pourrait prédire le destin des pays voisins : en Espagne et en Allemagne, les partis libéraux se sont particulièrement focalisés sur le rétablissement de l’ordre en réponse à la question catalane et à l’immigration de masse, respectivement. La marque du libéralisme français a, quant à elle, fait un virage impressionnant vers la répression.
Le mouvement des Gilets Jaunes est sorti de nulle part en novembre 2018 lors que les français vivant dans des zones rurales et dans les villes périphériques ont protesté contre la hausse de la taxe carbone proposé par le gouvernement que beaucoup voyaient comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans une série de mesures économiques répressives qui avaient des conséquences sur leur porte-monnaie. Chaque samedi, ils bloquent des routes et des ronds-points et manifestent dans les villes. Le mouvement avait atteint un record de 200 000 manifestants. Malgré un essoufflement constaté ces derniers mois, les Gilets Jaunes ont, tout de même, pu célébrer le 53ème anniversaire ce samedi 16 novembre.
Pour la police, le mouvement Gilets Jaunes représentait la menace du chaos. « Les manifestations étaient normalement autorisées, elles suivaient des procédures. Mais, on assiste à des actes de vandalisme et de bagarre contre les policiers », a confié au Foreign Policy Richard Lizurey, qui a pris sa retraite en tant que commissaire de la Gendarmerie Nationale le 1er novembre. A l’instar de ses collègues, Lizurey a évoqué en décembre 2018 un « moment crucial » dans l’Histoire de la France. Le 1er et le 8 décembre, lors des actes 3 et 4, les Gilets Jaunes ont affronté la police au niveau des Champs-Elysées. Dans cette avenue qui honore l’unité de la France, des dégâts estimés à plusieurs millions d’euros ont été constatés.
Philippe est le porte-parole des « Mutilés Pour l’Exemple » qui accuse le gouvernement français d’avoir encouragé la violence policière contre les manifestants. « Nous voulons que l’Etat reconnaisse ce qu’il a fait. Ils ont blessé des manifestants dans leur chaire. Nous avons été blessés par l’Etat français », dénonce-t-il. Les autorités au niveau du gouvernement et de la police ont condamné les manifestants qu’elles ont accusés de s’être livrés à la destruction, niant ainsi leur responsabilité dans ces violences qui ont changé des vies.
« Ne parlez pas de répression ou de violence car ceci est inacceptable dans un état de droit », se défendait Macron en mars. En Août, il a défendu l’idée qu’« aucune violence irréparable » n’avait été commise oubliant celles et ceux qui avaient perdu un membre. Quant à Edouard Philippe, le premier ministre, il a qualifié les manifestants de « voyous » et d’ « extrémistes » et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a, à maintes reprises, nié la violence policière.
Un mois après que Philippe et d’autres ont perdu un œil, Castaner dit « n’avoir connu aucun cas de policier s’en prenant à des Gilets Jaunes ». « Les forces de l’ordre sont autorisées à faire usage de la force si nécessaire et toujours avec proportion », avait-il déclaré. Pour les autorités, la question de la violence est une question de légitimité. « La violence des forces armées est légitimée par la loi et l’Etat. La violence des manifestants était illégitime », se défendait Lizurey dans son interview accordée à Foreign Policy.
Thierry Tintoni, un ex officier de police qui, maintenant, milite dans un syndicat policier, est en désaccord avec cette analyse. « Il y a eu beaucoup de violence illégitime du côté de la police », a-t-il dénoncé. « Comment peut-on comparer un restaurant saccagé et un œil perdu ? », se demande-t-il. Selon Tintoni, les discours de Macron et de Castaner ont « donné libre cours aux forces de l’ordre et ont justifié leurs actions ». « Le fait de ne jamais mentionner les manifestants blessés équivaut à nier leur existence. Et pour la police, cela donne l’idée qu’ils n’ont rien fait de mal et qu’ils peuvent continuer (à agir de la sorte, ndlr », ajoute-t-il.
La police française a longue histoire de ce type de violence dans le cas des banlieues parisiennes, des endroits où des bavures policières ont conduit à la mort de jeunes tels que Zied Benna ou Bouna Traoré, morts électrocutés dans une centrale électrique où ils s’étaient cachés pour échapper à un contrôle policier au niveau de Clichy-sous-Bois en 2005. Leur mort avait secoué les banlieues où nombreux dénonçaient les violences policières.
Jusqu’à récemment, les techniques agressives des forces de l’ordre s’étaient limitées dans les banlieues, comme l’explique Arié Alimi, avocat qui a défendu des Gilets Jaunes blessés. Cet usage disproportionné de la force, selon lui, s’est généralisée ces dernières années « lorsque les violences policières ont commencé à toucher des manifestants blancs et des activistes politiques issus de la classe moyenne. Toujours selon lui, cet usage disproportionné de la force est devenu « systémique » depuis le mouvement des Gilets Jaunes.
Emmanuel Macron, un ex banquier propulsé au pouvoir en 2017 après avoir été ministre de l’économie de François Hollande, après avoir détruit le système politique français, a fait campagne sur une plateforme destinée à faire de la France un pays plus attractif à l’étranger. Vu comme un homme de gauche sur le plan social et de droite sur le plan économique, Macron a jusqu’ici pris des mesures favorables au monde de la finance. D’ailleurs, l’une de ses premières décisions en tant que président a été d’abolir la taxe sur le revenu, ce qui lui donnera plus tard le surnom de « président des riches ». En deux ans, il a libéralisé le marché du travail français et réformé le système fiscal et l’assurance-chômage. Il est sur le point de toucher au système de retraite des Français qui, d’après les experts, va générer une baisse des pensions retraites.
Le soutien apporté aux forces de l’ordre par le gouvernement Macron n’était pas immédiatement apparent (Macron a été en guerre avec le chef de l’armée pendant les deux premiers mois de sa présidence). Et chez les militaires et les policiers, le soutien à Le Pen est très important. Cependant, en faisant face au mouvement Gilets Jaunes, le plus important depuis 1968, Macron a soudain trouvé le besoin d’être soutenu par les forces de l’ordre.
Dans son allocution de Nouvel An, le président avait condamné la « foule haineuse » de manifestants promettant que « l’état de droit serait garanti sans indulgence ». Il a régulièrement salué le « professionnalisme » et le « courage » des forces de l’ordre. En décembre 2018, au moment où la violence battait son plein, il a ouvertement accordé des bonus aux policiers qui prenaient part au maintien de l’ordre lors des manifs, allant jusqu’à demander que les méthodes de la police soit réformée afin qu’on « repense » et « relégitime » le rôle des policiers.
En Août, Vladimir Poutine a comparé les violences policières contre les Gilets Jaunes à l’arrestation de masse des opposants russes à Moscou. Très irrité, Macron lui avait répondu : « la France a toujours respecté les droits du Conseil de l’Europe aussi bien que sa propre Constitution ».
« Symboliquement, la France est le pays du droit de l’Homme », dit Elie Lambert, un représentant du syndicat Solidaires qui faisait partie de l’équipe de la société civile française qui s’est réunie avec l’organe des Nations-Unies en charge des questions internationales pour dénoncer l’usage de LBD. « Cependant, la répression a gagné du terrain contre les manifestants et contre les syndicalistes. Des brèches ont été ouvertes qui ont donné un coup dur à la légitimité de la police et du système judiciaire ».
Après chaque manifestation, des photos, des vidéos et des témoignages de nouveaux blessés sont postés sur internet. Beaucoup apportent des preuves qui contredisent la version des autorités. En Février, il a été révélé que de nombreux blessés ne participaient même pas aux manifs lorsqu’ils ont été pris pour cible par les policiers.
(…) Il est peut probable que le mouvement des Gilets Jaunes, qui peine à drainer du monde, gagne du terrain. Cependant, d’autres mouvements sociaux s’organisent pour s’opposer à la politique des réformes de Macron. Les syndicats ont appelé à une grève générale ce 5 décembre promettant de mobiliser la France à travers des mots d’ordre qui vont affecter le métro, le train, les routes et les aéroports. Les étudiants, qui s’insurgent contre l’inaction du gouvernement face à la précarité estudiantine, se joindront au mouvement. »
Cet édito a été traduit de l’anglais au français par Cheikh Dieng, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com.
Pour lire (en intégralité et dans sa version originale) l’édito de Pauline Bock sur Foreign Policy publié ce vendredi 29 novembre 2019, cliquez sur ce lien : Foreign Policy